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Le conseiller du Roi

en Guinée Bissau

 

 

Par Rached Trimèche

 

 

Quand le possible affronte l’impossible, pour se retrouver dans un impossible déclaré, il ne reste plus qu’à foncer autrement. Sans réfléchir. Dromomane le voyageur est un être particulier, qui ne connaît ni frontières, ni tabous, ni impossible. D’ailleurs ce qualificatif est-il bien français ?

 

 

Un jour, en quête d’une destination nouvelle et exotique, impossible et compliquée, j’ai choisi avec mon fils Alex, en 2006, d’affronter un pays fermé depuis 30 ans, pour cause de guerre civile. D’aucuns évoquèrent les millions de mines antipersonnelles enfouies dans les rues et chemins de ce pays. D’autres essaient de me persuader d’oublier ce pays qui ne compte pas un seul hôtel. D’autres enfin me souhaitent bonne chance avec un sourire narquois et moqueur en évoquant l’impossible visa d’entrée.

 

Je découvre, hélas, que non seulement impossible n’est pas français, mais encore moins allemand, chinois ou même grec. Il m’est impossible de trouver un contact, un logement et surtout un visa pour ce pays d’Afrique profonde. Pour garder le moral, nous décidâmes de coupler l’impossible pays à un second pays lusophone. Le Cap Vert nous ouvrira une voie royale sans gravitude aucune vers ces îles de rêve et d’évasion bercées par la voix de la divine Césaria Evora.

 

La nuit apporte conseil dit-on !

 

Cette nuit agitée et mouvante accoucha d’une idée. Comme toute idée, elle est simple et toute bête. Comment n’y ai-je pas pensé plutôt ?

Tôt le matin, après mon jogging matinal, je commence une valse téléphonique, scrutant tous les étages de La BAD. Au bout de 60 minutes à peine, je suis enfin avec la secrétaire particulière du représentant officiel de la Guinée Bissau auprès de cette Banque Africaine  de Développement.

Ayant réussi à la faire rire, elle devint loquace, mais ne comprenait toujours pas pourquoi je voulais aller en Guinée Bissau. Un pays en ruine, un pays en guerre, un pays fermé, un pays cloîtré, qui reçoit moins de 500 visiteurs par an et qui, comparés aux 75 millions de visiteurs de France ne représentent peut-être qu’une gouttelette dans un lac collinaire du beau jura français.

Ma journée est sauvée. J’avais enfin là, face à moi, sur une feuille, le nom, l’adresse et le téléphone d’une dame à Bissau que je pouvais directement contacter par téléphone pour qu’elle m’aide à visiter son pays.

 

Aussitôt dit aussitôt fait, la dame s’avère d’une gentillesse exemplaire et d’une rare hospitalité. Elle me dit tout simplement : « puisque vous venez de la part de la BAD, je serai à votre service ». La communication téléphonique est si mauvaise que nous fûmes interrompus plus de cinq fois. Elle tenait à connaître ma fonction au sein de cet organisme auquel je n’appartenais pas. Pour couper court je lui répondis que j’étais journaliste, certes, et que je comptais plusieurs amis auprès de cette banque. Elle commence par me donner le téléphone cellulaire de son cousin qui n’est autre que le consul général de la Guinée Bissau à Dakar, au Sénégal. Elle me demande enfin de la rappeler demain pour lui donner mon plan de vol entre le Cap Vert, la Sénégal et la Guinée Bissau. J’ai hélas mis trois jours pour mettre au point ce petit périple et lui communiquer mon heure d’arrivée en la priant de me réserver une chambre d’hôte faute de chambre d’hôtel (inexistant au pays !) et de m’envoyer, si cela était possible, un petit frère africain ou une cousine éloignée pour me recevoir à l’aéroport. Une bouteille à la mer.

 

Le consul était si heureux de recevoir un ami de sa cousine, qu’il nous offrit un visa de courtesy à double entrée et gratuit. Les péripéties se suivent et ne se ressemblent pas. L’arrivée à Bissau est lunaire, voire martienne. Un petit coucou des années cinquante, reliquat de l’armée russe qui soutint la révolution du pays, maintient encore une navette quotidienne entre Dakar et Bissau. Sa sainteté le Pape a dû de son lointain Vatican bénir l’oiseau de fer pour qu’il ne crash pas aujourd’hui.

 

Le ministre des Affaires étrangères

 

Imaginez un tarmac de terre battue, une forêt aussi vierge que la plus vierge des vierges, une humidité à couper au couteau et une dizaine de badauds qui court derrière l’avion qui atterrit.   

Grand, élégant et altier, son excellence, monsieur Ansumane, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Guinée Bissau nous attend au pied de notre jet avec une ardoise blanche portant trois lettres magiques B.A.D.  Face aux courbettes de la cour de l’aéroport, je compris que le personnage était de taille, mais ne comprenais surtout pas pourquoi il était là à nous attendre ! Je croyais comprendre, hélas, et ne voulais pas comprendre, mort de honte ou de confusion, mais les dés étaient jetés. Bouddha en a voulu ainsi et les Dieux de l’olympe nous ouvrent une arène vertigineuse, énigmatique mais accueillante. A la guerre comme à la guerre, jouons la paix avec son excellence et acceptons le titre que je vois venir.

 

- « Monsieur le conseiller du Président, permettez au représentant de votre banque de vous souhaiter la bienvenue en terre de Bissau ».

 

- « Monsieur le Ministre, Monsieur le représentant de la BAD, permettez-moi de vous apporter le salut de Carthage, une terre de trois mille ans d’histoire et plus vieille encore, puisqu’elle donna son nom au continent qui nous réunit, l’Afrique. »

 

Impossible voyage devenu possible, qui par la grâce des Dieux reçoit une bénédiction nouvelle. La manne de l’Afrique équatoriale. De l’eau sous un soleil ardent. Une pluie torrentielle et bien chaude. Imaginez la seule route asphaltée du pays reliant l’aéroport à la capitale. Imaginez la joie de centaines d’enfants et adolescents qui peuvent enfin faire d’une pierre deux coups et même trois.

 

Marathon sur asphalte

 

Imaginez une horde de petits noirs aux visages illuminés par un bonheur subi, qui se payent un marathon, sur la seule route asphaltée du pays.

 

 

La cause est noble et joyeuse. Par ce marathon, ces jeunes se paient le luxe d’éviter les nids de poules et d’éléphants, d’éviter les mines antipersonnelles, d’éviter la boue et les serpents, d’éviter les fourmis voraces et les bestioles sanguinaires et de prendre enfin une douche salvatrice. C’est que ces enfants, armés de quelques grammes de savon vert sont en train de se doucher gratuitement dans la plus grande salle de bain du pays. La route asphaltée. Mieux encore, ces enfants se paient une séance de sport à nulle autre pareille, et gardent au zénith un moral d’enfer qui les éloigne de la pauvreté, de la misère et de trente ans de guerre civile qui semblent enfin se terminer.

 

Commence alors une véritable épopée ou Darius le Grand de sa perse lointaine, tout comme D’Artagnan de nos livres d’enfant, Alexandre le Grand de sa légendaire Macédoine, Ronbinson Crusöe de son archipel de Juan Fernandez où même hélas Don Quichotte de la Manche qui brasse du vent, sans même le toucher. Pétri de tous ces personnages légendaires et bien réels, j’affrontais une épique semaine où tout un pays décida qu’il recevait le « Conseiller du roi ».

 

Tout cela n’est hélas, pas facile à gérer, comment contenter le ministre de l’économie sans déplaire à celui de la santé ? Comment accepter de déjeuner avec l’un et de prendre seulement un thé avec le second ? Comment laisser le temps au troisième, le ministre de l’agriculture d’organiser une séance de travail avec 20 collaborateurs et qui en plus tient à nous guider vers sa dernière œuvre, l’ébauche d’un pont et un peu plus loin, celle d’un quai qui recevra la cueillette d’une mer aussi fertile et poissonneuse que la partie archipel de la guinée Bissau.

 

 

 

Adepte de Talleyrand

 

En quelques jours, notre guide et ami, devenu du reste Cigéviste aura réussi, par sa diplomatie innée, à contenter tous les ministres du gouvernement en leur présentant le « Conseiller du roi ».

J’ai eu beau expliquer que je n’avais aucun salaire de cette banque, que je n’étais pas rattaché à cette banque et que je n’étais qu’un ami à plusieurs responsables de cette banque, peine perdue le peuple de la Guinée a décidé qu’il recevait le conseiller  du roi.

 

Mea culpa, mea maxi culpa, grande banque africaine, je le jure devant Dieu et tous ses prophètes et même devant le Messie ou Mehdi l’attendu, que j’ai défendu en mon âme et conscience la probité de votre entité et me suis juré d’être le nouvel ambassadeur de la Guinée Bissau auprès de mes innombrables amis de la planète.

 

Arrivée en Guinée Bissau du bout du monde

 

L’arrivée guinéenne commence par un problème de taille. Le logement. Comment trouver toit et fourchette dans un pays qui ne connaît qu’un seul et unique hôtel pour hommes d’affaires et diplomates de tous poils où la plus petite chambre coûte autant que le salaire annuel d’un autochtone ?

 

Refusant de nous faire plumer à l’arrivée, nous demandons à notre charmant hôte de nous faire visiter le centre ville pour y dénicher un éventuel logement. Aussitôt dit aussitôt fait, nous voilà reçus par un quinquagénaire de 120 Kg, ancré dans un bureau de 3 m². Les livres, factures, cahiers et carnets se chevauchent, s’imbriquent et arrivent même à garder un certain équilibre malgré une hauteur de 60 centimètres. Le clou de ce bureau est un ordinateur portable qui doit être le dernier gadget du pays. La page bleue de Microsoft ignore les frontières de la Guinée Bissau et s’implante derechef chez notre libanais propriétaire du grand hôtel de Bissau riche de cinq chambres.

 

La suite royale numéro 1 nous est allouée pour la modique somme de 40 dollars la nuit, soit à peine deux mois de salaire d’un ouvrier... Deux petits lits avec un matelas en mousse trônent dans une chambre bien vide. Le plafond est bas et les murs, délabrés. L’humidité tropicale dotera ces mêmes murs de précieuses sources thermales. Champignons et moisissures se bousculent au portillon. L’insolite est certes la salle de bain. Une énorme pièce de dix m², toute de faïence blanche vêtue. Au fond, un pommeau de douche se lamente tristement pendu à un vieux caoutchouc qui du gruyère a toute l’apparenté. À l’autre bout de cette pièce, un évier aussi blanc que neige (oh miracle !) attendra vos ablutions matinales et vous évitera faute de glace ou de miroir de voir votre mine fatiguée. Luxe suprême, un petit paillasson d’osier se veut la seule et unique décoration de notre chambre d’hôtel dite suite royale n°01 !

Qu’est ce qui rend la Guinée Bissau aussi pauvre et si délabrée ?

 

Réservoir de bois et d’esclaves

 

Si la Guinée Bissau ne fait pas beaucoup parler d’elle, elle reste pour certains le pays de tous les superlatifs : l’insolite archipel des Bijagos ou le plus bel ensemble d’îles en Afrique et la plus charmante capitale d’Afrique de l’Ouest à l’architecture coloniale, mais celle dont les grands bâtiments sont encore les plus perforés, à l’instar de Beyrouth en guerre, par des milliers de salves d’obus. Mais également le pays le plus pauvre d’Afrique qui sort à peine d’une guerre civile de 40 longues années !

 

En bord de l’océan atlantique nord, entre la Guinée et le Sénégal, la Guinée Bissau compte aujourd’hui 1,6 million d’habitants sur un territoire de 36 000 km², soit un peu moins de la superficie de la Suisse.

"Bissau" ou l'originelle, l'authentique, en langue locale banfata est la capitale de ce pays. Les Bissaliens ou habitants de Bissau parlent entre eux le créole et gardent le portugais comme langue administrative. Les Balantas sont l’ethnie majeure du pays, suivis de 20 % de Fulas et de 14 % de Manjacas. La majorité de la population s’attache principalement aux croyances traditionnelles tandis que les chrétiens représentent 5 % de la population et les musulmans 45 %.

 

Histoire guinéenne

 

Cinq siècles d’occupation portugaise, une des plus longues colonisations de l’histoire de l’humanité, de 1446 (veille de la découverte de l’Amérique) à 1974.

Les Portugais découvrirent une forêt au bois intarissable. Leur flotte sillonnait le monde, leurs grands voyageurs exploraient la planète, leurs colonies s’étendaient et de nouvelles embarcations avaient besoin du bois de la Guinée Bissau. Une réserve gratuite et inépuisable est ainsi sauvegardée.

 

Les fleuves de Guinée et les îles du Cap-Vert furent les premières terres africaines explorées par les Portugais, en particulier par l’intrépide Nuno Tristao au XVe siècle. Par un savant commerce triangulaire, le Portugal exporta, jusqu’au XIXe siècle, de nombreux esclaves vers les Amériques en passant par le Cap-Vert. C’est ainsi que le centre négrier de Bissau se transforma en ville commerciale en 1765.

 
Amilcar Cabral

 

Un siècle plus tard, la France arriva dare-dare et prit au Portugal une partie de la Guinée, y compris la Casamance sénégalaise. Les forces portugaises tentèrent, avant la première guerre mondiale, de soumettre les tribus animistes, avec le soutien de la population musulmane, pour fixer les frontières de la Guinée Bissau. Trente ans de combat pour arriver en 1936 à la reddition des Bijagos. La capitale passa ainsi en 1941 de Bolama à Bissau qui deviendra dix ans plus tard, à l’instar des TOM français, une province d’Outre-Mer du Portugal.

 

Le destin de la Guinée Bissau, ancien royaume de Gabu, est pris en main par un valeureux chevalier, l’Amiral Cabran, qui prend la tête du mouvement nationaliste pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert. Ces deux voisins jumeaux, la Guinée française (Conakry) et la Guinée espagnole dite équatoriale (Malabo) formeront une zone hospitalière de repli, à telle enseigne que l’Amiral choisit d’implanter ses quartiers militaires à Conakry en 1956.

 

En 1962, la guérilla anti-portugaise prend forme. Onze ans plus tard, Amilcar Cabran fut assassiné à Conakry. Son frère d’arme, Aristides Pereira, reprit le flambeau et déclara en septembre de la même année l’indépendance de la Guinée Bissau. Un an plus tard, soit douze longs mois après, le Portugal reconnut enfin, suite à la révolution des œillets et la chute du dictateur Antonio Salazar, l’indépendance de son ancienne colonie.

 

En Guinée Bissau, la guerre se poursuit avec luis Cabran, le demi-frère de notre feu chevalier Amilcar Cabran, qui devint alors président de la République. La Guinée est enfin dotée de stabilité et l’espoir revient ! La pêche et la noix de cajou reprennent le haut du pavé et tout semble redevenir normal !

Six ans plus tard, luis Cabran est renversé et la guerre civile reprend. J.B. Vieira, auteur du nouveau coup d’Etat, abandonne sa robe de premier ministre pour celle de président. Vingt ans après l’indépendance, la Guinée eut droit à ses premières élections et à un nouveau soulèvement militaire. Il faudra attendre l’an 2004 pour subir un énième coup d’État et asseoir enfin un gouvernement. Près de quarante ans de guerre civile ont dévasté et dépecé un charmant petit pays d’Afrique.

 

 

Bissau by night

 

Il est minuit. L’heure du crime. Un homme s’avance un couteau à la main… pour… étendre du beurre sur un morceau de pain.

Mais en Guinée Bissau, parler de beurre et de pain est déjà un luxe. A minuit, on parle plutôt de sécurité. A minuit, Alex et moi-même décidâmes d’un commun accord de regagner nos pénates !

 

 

Une heure du matin. Un léger bruit suivi du choc d’une chaise qui tombe et d’un verre qui part en éclats et me voilà attrapant sous le faisceau de lumière qui jaillit de ma torche, le fauteur de troubles. L’intrus. Celui qui osa pénétrer dans notre chambre. Sortant d’un sommeil profond et d’une fatigue certaine après une première tumultueuse journée à Bissau, mes paupières se font lourdes et ma cornée peu transparente.

 

Le fantôme qui vacille sous ma torche électrique est très curieux. Il ne sort pas des châteaux hantés de l’Ecosse profonde, ni du désert du Néguev, ni de la tumultueuse Amazonie. Chemise blanche impeccable, pantalon crème fraîchement repassé et chaussures vernies, le gentleman cambrioleur a en plus un sourire narquois, ambigu et embêté.

Il eusse fallusse que je le susse (du verbe savoir) que ce jeune oiseau de nuit n’était autre qu’Alex mon compagnon de route.

 

Narguant le couvre feu, les centaines de kalachnikov qui se baladent dans la ville, les milliers de pistolets vendus sous le bras, les guet-apens pour cinq maudits dollars et le danger à chaque bar, Alex décide de vivre son Bissau by night. J’ai eu beau dire et répéter qu’il fallait faire attention et éviter les sombres ruelles et même les attrayantes guinéennes qui le marqueront à jamais. Le Dernier voyage est si rapide en ces nuits guinéennes… Nul n’est à l’abri des mafieux de tous poils !

J’ai passé les deux plus longues heures de ma vie qui me rappelèrent un autre calvaire de cent minutes avec un autre compagnon de voyage.

 

C’était il y a quatre ans à Séoul. Nous rentrions de Chengdu, la capitale de la province du Sichuan en Chine. Dans cette mégalopole de près de 12 millions d’habitants à plus de 12 heures de train de Pékin, nous avons assistés pendant une semaine à une longue et incroyable procession bouddhiste ! Un régal de l’âme et du cœur !

Une escale coréenne pour oublier la fatigue et découvrir plus tard la jeune héritière de la maison Samsung, dont la maman voudra…embarquer Nan ! Tout un poème !

Notre nouvel hôtel de Séoul tombe à pic pour réparer les affres et fatigues de notre pèlerinage, dans des conditions rudimentaires et ecclésiastiquement bouddhistes !

On avait par le pur hasard des voyages la plus belle suite de l’executive floor du Hilton Séoul à un prix défiant toute concurrence. Nan, mon fils et mon Body guard, perché sur son mètre quatre vingt quatorze, une casquette vissée sur la tête, décida à une heure du matin de rejoindre le quartier des GI américains dans les chaudes rues de Séoul.

 

Rien n’y fit. Aussi obstiné que son aîné Alex, il me quitta pour aller vivre deux heures de folie et d’aventure qu’il gardera dans ses souvenirs profonds…

 

 

Les lusophones

 

C’est au Brésil que j’ai eu le bonheur à 20 ans d’apprendre le brésilien. A mon retour en Europe, quelques mois plus tard, j’ai réalisé que c’était bien le portugais que j’ai commencé à apprendre.

 

Et je dirai toujours et encore : «Eu te amo meu Brasil, eu te amo! Teu coração é verde, amarelo, branco e azul...à imagem de tuas cores nacionais..."» pour dire « je t’aime mon Brésil, je t’aime ! Ton cœur est vert, jaune, blanc et bleu… à l’image de tes couleurs nationales… »

Sixième langue parlée dans le monde, le portugais n’est devancé que par le mandarin, le hindi, l’espagnol, l’anglais et l’arabe. 215 millions de personnes ont pour langue maternelle le portugais et 12 autres millions l’adoptent en seconde langue.

 

Le Portugal, le Brésil, l’Angola, le Mozambique, la Guinée Bissau, le Cap-Vert, Sao Tomé et Principe, le Lorosae ou Timor Orientale,  Macao la chinoise et enfin Goa l’indienne se veulent les chantres de la langue portugaise. Les îles au large du Portugal, enclaves de cette nation, les Açores et Madère, sont également lusophones.

 

Quid de la Lusitanie ?


En fait la province romaine de Lusitanie ne recouvre que partiellement le territoire de l'actuel Portugal. D'une part, toute la région portugaise située au nord du Douro était dans la province de Tarraconnaise. D'autre part, l'actuelle région espagnole de l'Estrémadure faisait pour l'essentiel partie de la province romaine de Lusitanie, de même qu'une partie du Léon... et d'ailleurs la capitale de la province de Lusitanie, Mérida, est aujourd'hui en Espagne, dans l'Estrémadure !

Le Portugal ne fut pas la province romaine de Lusitanie... le Portugal est établi partiellement sur le territoire de l'ancienne province romaine de Lusitanie. C'est une nuance dans la formulation mais cela change bien des choses! :)

En fait, même si on a réemployé les termes Lusitanie ou lusitanien, le Portugal et la Lusitanie ne recouvrent pas les mêmes réalités parce que dans un cas comme dans l'autre il s'agit dans l'absolu de deux réalités administratives... deux entités territoriales et deux réalités administratives distinctes. On trace des limites de provinces ou d'Etats là où l'on veut et là où l'on peut !

Pour ce qui est de la province de Lusitanie, elle porte le nom du peuple des Lusitaniens qui était implanté dans le centre de l'actuel Portugal. Au nord, jusqu'à Porto, on trouvait le peuple des Turduli Veteres ; au sud, les peuples des Celtici et Conii ; à l'est, dans les secteurs aujourd'hui espagnols, était implanté le peuple des Vettones. La Lusitanie regroupait donc, comme généralement pour les provinces romaines, divers groupes ethniques et ne formait donc pas un ensemble culturellement homogène...

 

L’étymologie de ces noms est tout un voyage

 

À l’instar de la France, de l'Espagne et de l'Italie, le Portugal fut une province romaine que l'on appelait alors la Lusitanie, le pays des Lusitaniens. Les locuteurs portugais sont ainsi appelés des lusophones (et non pas des «portugaisophones»). Le mot «lusophonie» trouve son origine dans le mot portugais lusofonia. Évidemment, la racine luso renvoie au Portugal, ce qui peut déplaire à certains États tels que le Brésil…

En 1996, le Portugal ainsi que six de ses anciennes colonies ont fondé la Comunidade dos Países de Língua Portuguesa (CPLP), la Communauté des pays de langue portugaise: l’Angola, le Brésil, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique, le Portugal et Sao Tomé et Principe; le Timor oriental est admis à titre d'observateur.

 

Rottweiler

 

Dans ma vie de voyageur, ma seule réelle extase, joie et plaisir est et restera le contact avec l’Autre. Que n’ai-je fait pour entrer chez telle ou telle personne ? Que n’ai-je imaginé pour découvrir le giron de l’autre. A chaque fois, la découverte d’un personnage, d’une famille, d’une maison ou d’une maisonnée est un voyage gravé en lettres d’or dans ma mémoire de baroudeur.

 

 

Tout cela me vient sûrement de mes 16/20 ans où j’ai eu la joie de découvrir 53 pays en auto-stop. Faire de l’auto-stop, parler certaines langues et avoir très peu d’argent, implique la prolongation du stop par un séjour, même furtif, chez le propriétaire du véhicule. Enfant, père de l’homme certes, enfant je suis et je resterai, à découvrir les yeux écarquillées « la vie de l’autre » et la chance m’a toujours souri.

 

Même cette nuit à Trinidad et Tobago où, arrivés avec cinq heures de retard, nous eûmes droit à zéro taxi, zéro bus et zéro navette pour quitter l’aéroport et rejoindre la ville à quatre heures du matin. Soudain, il s’avança. Son pistolet pendouillait sur son côté gauche et son chapeau cachait ses yeux. Son étoile d’officier de police brillait sur sa poitrine et son alcool sentait à quelques kilomètres. Apprenant notre petit drame, il nous propose tout de go de venir passer la nuit chez lui. Une heure plus tard, la maison de notre hôte commençait à recevoir des cow boys hirsutes, maléfiques et bien louches. Sommes-nous dans un centre de vente de blanche, de traite de blanches ou de simples contre bandes ? Une seule issue à ce manège, boire un bon café et passer la nuit, éveillés, auprès de cette faune insolite et incroyable.

 

Voitures suisses

 

Ici à Bissau, la fièvre de l’autre, la curiosité du gîte de l’autre et l’envie de découvrir l’antre de la boutique, nous pousse encore une fois à sonner à la porte d’une belle villa.

Deux voitures immatriculées en Suisse, une blanche Mercedes et une noire BMW jurent avec le cadre guinéen. Je ne peux m’empêcher de chercher à savoir qui habite cette baraque. Alex a beau me freiner, mais mon pouce trouve rapidement le chemin du bouton de la sonnette. Une jeune demoiselle de 16 ans, toute de rouge vêtue, me reçoit dans un salon ventilé et ombragé. Son papa libanais est un des plus gros hommes d’affaires du pays. La pêche est sa chasse gardée.

En sortant de cette maison, deux Rottweiler puissants attirent le regard d’Alex. Nous voilà installés dans la maison d’en face, face à deux bières locales bien fraîches et savoureuses. Amine et John, deux cousins libanais, vivent entre Dakar, au Sénégal voisin, et Bissau. Ils font commerce de tout bois et vendent à ce pays toute bricole indispensable, de la torche électrique au réfrigérateur en passant par les tables et les lecteurs de cassettes. Ces jeunes Libanais de 25 ans sont la représentation même de la diaspora libanaise qui envahit le continent. Aujourd’hui, la majorité des commerces africains sont pris en main par les Libanais. Ils raflent tout, prennent tout et réussissent en tout. Phéniciens plus que jamais, ils gèrent tout un continent.

Que dire de ce petit Liban qui vient d’avoir une amorce de dialogue en juillet 2007 à Paris pour retrouver une paix oubliée ? Que dire d’un petit pays de 10 000 km² et de 3,5 millions d’habitants, dont la seule diaspora brésilienne compte plus de 6 millions de libanais ? Imaginez le reste…

 

Hôpital  Bissau

 

 

Cette matinée est à marquer d’une croix blanche. Dans ma vie de bourlingueur, de voyageur et d’aventurier, j’ai croisé plus d’une fois madame misère, à l’instar de ma première léproserie à l’âge de vingt ans à l’île de Moorea, au large de Tahiti.  Un choc qui, à ce jour, me fait trembler d’effroi et de peine. Ces mains transformées en menottes, ces jambes en cul de jatte et ces visages en parchemin déformé, formèrent et hantèrent durant de longues années mes cauchemars.

 

Ce matin, notre guide des Affaires étrangères nous dépose à l’hôpital régional de Bissau. Ici la misère humaine dépasse hélas la fiction pour sombrer dans la réalité. Imaginez une ancienne caserne portugaise aux murs épais et délabrés où la forêt vierge a envahi chaque pouce de terrain. Imaginez des salles- hangars où le seul luxe offert aux malades est une banquette branlante des années cinquante. Imaginez une odeur pestiférée qui pénètre vos narines, envahit vos poumons et s’incruste à tout jamais dans vos neurones. Imaginez des centaines de patients jonchés à même le sol face à ces bâtiments trop pleins. Le premier s’arc-boute à sa mère, le second s’attache à son père, le troisième aux yeux rouges de fièvre et au teint blafard abandonne sa tête sur un tronc d’arbre. Le spectacle est saisissant et chaque cas humain est une horrible page de vie. Une misère noire dans un pays bien noir où les noirs loin d’être rois sont les sujets de sa majesté Maladie.

 

Docteur Juanito !

 

Arrive monsieur Juanito, un stéthoscope autour du cou. Sa blouse fut un jour blanche, son regard a dû briller un soir et son sourire est hélas resté au vestiaire de l’hôpital. Monsieur le directeur de l’hôpital commence une visite en allemand châtié, ancien diplômé de la DDR (ancienne république de l’Allemagne de l’Est), il croule aujourd’hui sous la chape de la honte, de l’oubli et de la maladie. Comment oublier, dans la salle B, le trésor du docteur Juanito. Là, trône au centre d’une pièce grise les trois instruments les plus modernes de cet hôpital de Bissau : un vieil appareil de radiographie, deux stéthoscopes jeunes de dix ans et une balance roverbal pour peser je ne sais quelle famine. Où sont les scanners, IRM, échographes et simples chaises roulantes qui meublent, aujourd’hui, la totalité des hôpitaux des pays qu’on appelle occidentaux ?

 

Succomber à ma nausée !

 

Pedro, un rachitique malade de 40 ans tourne de l’œil devant nous et s’affale à même le sol.

Son regard est révulsé et sa maigreur moribonde. L’infirmière bien en chair toute de rouge vêtue lui jette un regard réprobateur et l’enjambe sans autre formalité. Moi-même, qui suis pourtant habitué à tant de misère humaine et aux malades que je côtoie dans ma profession, je me retiens de ne pas succomber à la nausée, à l’étourdissement et aux cris de rage vis-à-vis des responsables du pays qui gardent secret le pétrole qui serait pourtant le grand bienvenu.

 

Puissent un jour les Grands voyageurs du monde rassembler un demi million de dollars et les confier par exemple à notre cher Cigéviste et chirurgien bénévole le professeur Nardo Jardina. Nardo, qui a l’expérience des hôpitaux africains saura quitter pour un certain temps ses douces cliniques de Bologne, attraper ce vœu au vol et honorer peut-être l’espoir des Grands voyageurs, de doter Bissau d’une clinique nouvelle qui sauverait peut être des centaines, voire des milliers de vies humaines.

 

Par la voie d’Astrolabe, Nardo cet SOS t’es lancé ! Pense à notre campagne pour le Tsunami où nous avons récolté 78 000 euros en quelques jours à peine…

 

Cajou, pétrole et… termitières

 

 

A plus de deux heures de voiture de Bissau, nous voici dans un hôtel, en bord de fleuve, qui sert de refuge aux chasseurs-pêcheurs de la région. D’un âge avancé mais toujours bon pied bon œil, Pedro le Portugais, propriétaire de l’hôtel, au nombre de clients égal à zéro, a décidé de couler ses vieux jours dans son pays natal et de retourner à Lisbonne après les fêtes de fin d’année.

 

La fin de l’année est pour Pedro l’aubaine attendue. Sa seule réelle quinzaine de travail pendant toute l’année. Dès le quinze décembre, les Portugais fuient la neige de leur pays et viennent se nourrir d’exotisme en Guinée Bissau. Pedro fera encore plus. A l’aide d’un yacht, il emmène ses troupes dans les méandres de l’archipel Bijagos pour de fabuleuses et inoubliables pêches au gros. En témoignent ces dizaines de photos noir et blanc agrafées à l’entrée de l’hôtel où chaque touriste pêcheur arbore le poids de sa prise.

 

 

 

Notre chemin se perd dans la forêt et notre 4x4 est envahi par d’insolites et gigantesques cônes de deux mètres de haut.

Non ce n’était pas de la terre cuite ni une statut de Gaudi, ni un tableau de Picasso. Ces édifices innombrables et particuliers sont des termitières. Les galeries souterraines de ces termitières doivent communiquer entre elles. Le termite, cet insecte xylophage aux pièces buccales broyeuses, envahit ainsi le paysage par d’imposantes termitières. La chaire de poule est assurée pour tout passant perdu entre ces termitières de la Guinée.

 

Économie guinéenne

 

Suivons les sinueuses galeries des termites pour essayer de comprendre l’économie de Guinée Bissau qui se cache dans une autre profonde termitière que nous allons découvrir ensemble.

Le pays est à 90 % d’économie rurale et la noix de cajou représente 90 % des recettes d’exportation et en fait le principal producteur mondial. En 2007, l’Inde se veut le premier acheteur de cette noix en Guinée pour la distribuer sous une forme élégante et attractive à l’ensemble de la planète. Mais hélas, après trente ans d’indépendance, le pays demeure au Top 5 des pays les plus pauvres au monde.

 

Il faut dire que le monde est bien injuste. A eux seuls les États-Unis, qui représentent 5 % de la population mondiale, produisent 22 % de la richesse du monde. La moitié de cette richesse est produite par des pays qui représentent 13 % de la population mondiale, tandis que les pays les plus pauvres, dont la Guinée Bissau fait hélas partie et qui forment 20 % de la population mondiale, ne se partagent que 3 % de la richesse de la planète.

 

Le PNB (Produit National Brut) par tête et par an de la Guinée Bissau n’est que de 180 dollars US, soit 133 euros où le salaire quotidien d’un simple technicien en Allemagne. Le Top 5 des pays les plus pauvres au monde élargit le voisinage de notre Guinée à l’Ethiopie, le Burundi, le Congo RDC (aux fabuleuses richesses minières spoliées), le Libéria et la Somalie. Dans ce même continent, le Top 5 des pays les plus riches est répartie entre la Réunion (15 000 dollars US), les Seychelles, la Libye, le Gabon et l’Afrique du Sud.

 

 Masque Malinké

 

 

 

15€ ou 1570€ par mois ?

 

Pour garder la même mesure, le même refrain et le même espoir, évoquons le Top 5 planétaire qui, en 2005 toujours, fut restreint au Luxembourg (55 380 dollars US), à la Norvège, à la Suisse, aux USA et au Danemark.

L’Union européenne semble être dans une autre galaxie économique comparée à notre Guinée. Si le Luxembourgeois est assuré d’un Smic ou d’un Salaire mensuel minimum garanti de 1570 €, le Français de 1250 € et le pauvre Bulgare de 92 € à peine, le Guinéen de Bissau n’aura malheureusement qu’un salaire mensuel minimum non garanti de 10 à 15 € seulement !

 

La pêche, l’arachide et le bois restent les principales ressources économiques de la Guinée Bissau qui se targue d’une dette extérieure qui représente 370 % du PNB et en fait un nouveau triste record mondial.

 

Aujourd’hui, 33 ans après l’indépendance, deux tiers de la population vivent sous le seuil de la pauvreté et n’affichent que 45 ans d’espérance de vie, soit près de la moitié de celle du Japon.

Aujourd’hui, le Portugal, l’ONU, la Banque Mondiale et la BAD sont les principaux soutiens financiers du pays. Le FMI, quant à lui, découvrant un trou de 16 milliards de dollars dans les caisses de l’État, s’est retiré de la Guinée Bissau.

 

Le président Vieira a un rêve. Un souhait.

 

Non ce n’est pas celui de John Kennedy face au mur de Berlin ni celui de Martin Luther King à Washington. Le dream de notre président est autre, c’est un rêve visqueux, lourd et surtout si bien caché que personne en Guinée Bissau ne vous dira ce qu’il pèse, ce qu’il vaut, ce qu’il pourrait être… Comment oublier ma rencontre avec le ministre de l’économie à qui je répétais inlassablement dans ses bureaux la même question et qui me donnait inlassablement une réponse badine et creuse :

 

« Comment puis-je vous dire monsieur quel est le poids de cette nouvelle richesse dont vous me parlez, de ce dream de président, de cette manne céleste enfouie dans l’eau. Sachez monsieur que seul le président Bush pourrait vous donner aujourd’hui les données exactes de cette richesse enfouie. Nous, hélas, n’avons pas accès aux données des satellites américains. Il m’est donc impossible de vous donner la quantité de réserves de pétrole que l’on vient de découvrir. »

 

Resto-couloir

 

Le dernier soir de notre séjour guinéen se veut familial. Monsieur le ministre des Affaires étrangères nous invite à dîner au restaurant de son épouse.

L’entrée se fait par la porte du garage. Ce garage se transforme soudainement en couloir interminable, parsemé d’une dizaine de tables rondes bordées de chaises en plastique blanc. La table d’honneur nous est attribuée et je me fais un devoir d’inviter le fils aîné du diplomate auprès de nous. Tantôt au four, tantôt auprès de ses clients, madame l’épouse du ministre a un gentil mot pour tous ses convives. La lumière est blafarde et les mets épicés et délicieux. Les brochettes de poisson sont royales sans gravitude aucune et les pommes frites plus françaises que les belges. Un inoubliable dîner qui en plus nous sera servi avec 20 % de réduction.

Les temps sont durs et quand on est un haut commis de l’Etat non corrompu on préfère arrondir ses fins de mois en faisant travailler son épouse au four et au couloir…

 

 

Adieu Guinée Bissau. Adieu terre de cajou, de crevettes, de pauvreté, de misère et de détresse. Quarante ans de guerre sont déjà de l’histoire ancienne. Une génération nouvelle décide de reprendre le pays en main et de l’imbriquer dans le cortège des nations. Puisse votre volonté et votre amour du pays sortir cette si belle Guinée Bissau de son gouffre profond, l’ouvrir au monde et savoir enfin la gérer avec éthique et raison !

 

 

R.T.