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ENSORCELANTE ILE MAURICE

 

Par Rached Trimèche

 

 

 

Port Louis (Août 85). Au sud de l’Océan Indien, à plus de 10 000 kilomètres au sud de Tunis et à près de 24 heures de voyage en avion…émerge une petite île tropicale qui vous envoûte déjà par son mini aéroport de poche. Juste après de légères formalités douanières, des enfants de dix ans viennent vous proposer gentiment des bananes bien mûres et attendent patiemment que vous ayez terminé pour vous reprendre la peau de banane…

Quelle est donc cette île merveilleuse, voisine de Madagascar, où l’habitant est touchant par sa gentillesse innée et spontanée, où le paysage est de rêve, la mer turquoise et la vie langoureuse ?

C’est l’île Maurice qui, avec ses 1865 km², est cinq fois moins vaste que la Corse et cinq fois plus vaste que Barbade, tout en étant de la superficie de la Guadeloupe et en comptant un million d’habitants !

 

 

 

Dans un taxi Renault 4L qui coûte prés de 10 000 dinars (ici une bonne voiture coûte aussi cher qu’une petite villa mauricienne !), le chauffeur de type indien n’est pas pressé d’arriver à Cure-pipe, hameau résidentiel du pays. De chaque côté de la route goudronnée, le trottoir est envahi par la canne à sucre. Le piéton sait que les voitures sont assez rares et qu’elles ne font point de vitesse, pour maintenir leur santé d’abord… et puis rien ne presse à Maurice. Dans cette île un peu perdue, il fait bon vivre ! Nous sommes en hiver et les rouges flamboyants ne sont pas encore en fleur. Le filao au feuillage léger est souvent en compagnie des bananiers et des cocotiers. La primitive mangrove et le célèbre vacoa ne sont point visibles de notre taxi.

Sur tout l’horizon, c’est la canne à sucre qui envahit le paysage. Des hommes légèrement vêtus (nous sommes en hiver avec une température moyenne de 21 degrés), armés de machettes larges ou sabres à canne, coupent les troncs de canne. Au préalable, un feu volontaire a débarrassé la canne de ses « herbes folles ». De partout, malgré la non sécheresse, un arrosage automatique continue à arroser ces champs de canne, souvent cernés de vétiver.

A un bref arrêt, le Mauricien me tend un bout de cette canne à sucre bien taillée. C’est une saveur de miel ou de sucre noir…que les enfants affectionnent. La canne reste la principale manne financière de l’Ile. Les cours chutent. Les entrées de devises diminuent et les problèmes s’accentuent. Pourtant, cette généreuse canne à sucre peut repousser 6 fois de suite et donner ainsi avec la même racine ou rhizome six moissons de canne pour les raffineries de sucre. Nous y reviendrons !

 

MAURICE DE NASSAU

 

Où sommes-nous donc ici, ballottés par des vagues océaniques qui naissent au large de l’Australie pour échouer au sud de l’Afrique en passant par l’Inde ? Nous sommes dans une île nouvelle qui fut le paradis des DODOS, ces heureux oiseaux (didus ineptus) au bec étrange et aux ailes courtes qui ne leur permettaient pas de voler. Ce dodo couvert d’un noir duvet à l’allure d’un cygne trapu n’a que trois ergots à chaque pied. Bien que de chair coriace, les premiers conquéreurs de l’Ile l’exterminèrent par instinct destructeur. Ce dodo est un peu l’emblème de Maurice, comme le « kiwi » néo-zélandais ou le « kangourou » australien.

Aujourd’hui, à l’Ile Maurice, ce DODO figure sur les armoiries du pays, sur les vitrines de magasins, donne son nom à une équipe sportive et est reproduit sur moult  timbres postes et cartes postales.

Bref, c’est la vraie vedette du pays. Revenons à la case départ, en 1598 où les Néerlandais investissent l’Ile qu’ils nomment MAURICE, du nom de Maurice de Nassau, fils de Guillaume 1er le Taciturne. En 1715, les Français arrivent à leur tour, suivis des Anglais un siècle plus tard. Les esclaves noirs venus du Mozambique suivent et peuplent également l’Ile, jusqu’au jour de leur affranchissement en 1833, qui fut donc le but de l’immigration indienne…pour avoir une main-d’œuvre qualifiée et « engagée ». Une autonomie en 1948 est suivie d’une indépendance en 1968 dans le cadre du Commonwealth.

De tout ce brassage, il ressort aujourd’hui un bilinguisme parfait. Le Mauricien s’exprime aujourd’hui dans un français académique et peut de suite continuer la conversation en anglais d’Oxford, sans du tout brasser les deux langues. Mais, si aujourd’hui, le Mauricien dont l’anglais est la langue officielle et administrative, possède pourtant si correctement le français, c’est que les Anglais venant après les Français en colonisateurs, ont accepté de ces derniers de continuer à enseigner le français aux écoles…et à protéger les prêtres catholiques français…Avec ses compagnons, ce même Mauricien parlera le créole qui est une langue d’origine africaine que l’on trouvera à la Réunion, aux Seychelles et aux Antilles. Nous en reparlerons avec une charmante et érudite dame des Seychelles en fin de périple. Madame Danielle de Saint Jorre, Ambassadrice des Seychelles à Paris, Washington, Moscou, Bonn et Cuba, auteur du premier dictionnaire créole.

 

LE MAURICIEN

 

Ce matin, la plage de cet hôtel Méridien est d’un calme et d’une sérénité romantiques. Un lagon turquoise bordé d’un récif de corail vient bercer sagement un sable d’une grande finesse et blancheur. Devant moi, ce jeune couple français (la majorité des touristes) fait sa récolte matinale en coquillages de tous gabarits et de toutes couleurs.

Plus loin, de jeunes Indiennes souriantes et hautaines ont une patience à toute épreuve pour essayer de vendre aux touristes leur riche collection de textile ou de coquillages nacres. Quelle différence avec les plages de Guadeloupe où c’est la blonde française qui vend l’artisanat des créoles avec arrogance !

Plus loin encore, sous un frangipanier, je rejoins un groupe de Sud-Africains de « Jow Bourg » comme ils disent, ou Johannesburg. C’est là que j’écoute une des plus incroyables théories raciales, quelques jours avant les évènements actuels de ce pays. Pour les quatre millions de Blancs, entourés de 40 millions de Noirs, il s’agit de sauvegarder leur pays de ces sauvages venus après eux ! Seuls les Buchmans étaient ici avant les Boeurs…et les Buchmans sont en voie de disparition, disent-ils (disons exterminés !). Le Blanc pense ainsi que le Noir est un super arriéré, qui traîne dans ses chromosomes une tare génétique bien lourde, qui l’empêche d’évoluer, de comprendre et de prospérer. C’est une dentiste qui le dit. Ce Blanc est persuadé que l’Afrique du Sud est son bien. Mais l’Histoire donnera tort à l’apartheid.

L’exemple rhodésien est là. Dans 10 ou 15 ans, ce pays sera lui aussi « libéré », je pense.

Ce midi, je suis invité par le journal « LE MAURICIEN », un des deux principaux quotidiens du pays qui est riche en divers journaux. Après m’être plié aux exigences de l’interview, c’est à mon tour d’écouter les journalistes de Pierre Benoît : aujourd’hui, à Maurice, le pouvoir est détenu par le Premier Ministre Aneerood JUGNAUTH, auprès d’une autorité symbolique représentant la couronne britannique, le Gouverneur Général, Sir SEEWOOSAGUR. Ce dernier, âgé de prés de 85 ans, fut lui-même Premier Ministre du pays.

Jugnauth forme son premier gouvernement en juin 1982 avec la victoire de la coalition gauche aux élections législatives et est réélu en 1983 pour un nouveau mandat de cinq ans. Il est curieux de noter que le parti « M M M » (mouvement militant mauricien) qui a conduit Jugnauth au pouvoir se retourne aujourd’hui contre lui. C’est une vraie démocratie anglaise ! C’est ainsi qu’aujourd’hui, le « MMM » fait place au gouvernement aux mouvements socialistes « MSM » et « PMSD ».

A ma question, pourquoi ne pas constituer une République, je n’ai eu que de vagues réponses…hélas confirmées plus tard par le vice-Premier Ministre, G. Duval.

Le vrai problème actuel de Maurice est un problème économique, doublé d’un problème racial. Voyons dans ce premier article, d’abord le problème racial.

L’Ile Maurice est une parfaite mosaïque raciale qui tient par un incroyable équilibre instable : sur le million d’habitants, il ne reste plus que 7 000 blancs d’origine (les premiers habitants de l’Ile !). Le sucre de canne étant à la baisse, ces grands terriens ne sont plus vernis et leurs enfants hésitent à prendre une relève difficile. C’est l’Afrique du Sud qui a déjà appelé prés de 7 000 autres riches blancs mauriciens. Les terres appartiennent aujourd’hui à sept grandes familles blanches. Ces blancs possèdent en outre des sucreries et des réserves de bêtes.

75 % de la population est composée d’Indiens, anciens coolies à titre « d’engagés », venus après l’abolition de l’esclavage noir. Ces indiens sont eux-mêmes divisés en plusieurs sectes et prennent plus d’une appellation d’usage, comme Malbare, Tamule, etc…Ces Indiens, de confession hindoue en majorité, font surtout de la politique, de l’administration et du commerce. C’est la force politique du pays. Les Indiens musulmans sont riches et touchent à tous les commerces.

 

LES CHINOIS

 

Les Chinois que je voyais en groupe, le soir de mon arrivée à l’hôtel…face au casino, sont les grands commerçants de l’Ile, invités par l’hôtel pour enrichir la banque du casino…Du simple épicier au grand grossiste, c’est le Chinois qui tient pignon sur rue. C’est un peu le cas de Tahiti par exemple. Ici, le Chinois qui roule en BMW, au prix de deux appartements, trouve un autre métier plus lucratif : « Bookmaker ». Il saura vous faire gagner aux courses, au casino ou aux jeux…Faites lui confiance, il gardera assez de roupies pour bien se sucrer au pays de la canne à sucre !

Viennent ensuite les Créoles d’origine du Mozambique, pauvres ouvriers mais riches par rapport aux 25 % des chômeurs du pays qu’on évoquera dans un second article.

En résumé, bien avant les métis et les mulâtres, ce sont les Blancs et les Indiens qui tiennent le haut du pavé. Mais hélas, une lutte de classe n’est plus cachée par les moins nantis qui en veulent aux détenteurs de pouvoir et qui souffrent de ce grand chômage.

Ce soir, je suis invité par M.B. Ramdanee, coordinateur du CIGV-ILE MAURICE, à son restaurant la « Bonne Marmite ». Au rez-de-chaussée, une charmante et belle indienne en sari rouge aux plis magiques et au nombril voyageur me conduit dans un doux froufrou au premier étage du restaurant, où Madame Ramdanee est déjà sur place. Ce couple mauricien est un exemple d’Indiens très dynamiques ! Ils gèrent ce restaurant de trois étages, une usine de produits pharmaceutiques en exportant certains médicaments, une officine privée et sont dans maints conseils d’administration, sans parler de la présence de Rotary Cure-pipe depuis quelques mois. Des Indiens travailleurs qui ont bien réussis. Un punch maison est suivi d’une valse de poissons grillés à l’indienne, « fishtika » et d’une galette maison « nan ». Une salade de fruits panachée de glace maison vient achever ce savoureux dîner mauricien.

Le soir, accompagné des chants de mini-grenouilles qui me rappellent les îles antillaises de Grenade et de Martinique, nous roulons sagement vers notre hôtel en passant devant le Morne montagneux et l’Ilot aux Bénitiers. C’est la nuit des Tropiques. A 18 heures, le soleil est déjà couché, suivi de très prés par les Mauriciens qui se lèveront demain avec ce même soleil et profiteront de cette incomparable façon de vivre, sans stress aucun.

Les fondateurs hollandais de Batavia, l’actuelle Jakarta indonésienne, voulaient sauvegarder la route des épices en prenant possession d’une île déserte, l’Ile Maurice en plein Océan Indien.

Ces premiers habitants, forçats et esclaves, ravagèrent le pays et exterminèrent par exemple cet oiseau unique, le Dodo (voir dernier article), mais ces hollandais concentrèrent leurs forces au Cap, qui devint une nation d’apartheid tout en important de Java la canne à sucre et le cerf qui prolifèrent au Cap et à Maurice. Actuellement, ce petit Etat d’un million d’habitants vit dans un site merveilleux, où le chômage devient inquiétant et où l’avenir se veut plus sécurisant.

Ce matin, c’est la découverte du marché de Port Louis que les prospectus dévoilent comme très sale. Mais ce marché est des plus charmants et des plus pittoresques. On retrouve les marchés de Grenade, de Port-au-Prince en Haïti ou encore d’autres marchés antillais.

C’est ainsi que la comparaison avec les Antilles se retrouve à tout bout de chemin. L’insularité, les Tropiques (l’autre Tropique !), la langue créole, la végétation et le climat, mais pas les mêmes gens. Le Mauricien est d’une courtoisie et d’une gentillesse à fleur de peau. Ce même Mauricien de grande générosité est très système D, tout en aimant les jeux et les courses qui font la joie des « bookmakers » chinois de l’Ile ! Mais d’un autre coté, le Mauricien a l’esprit un peu polynésien, donc un peu léthargique et rêveur comme les « fius » tahitiens par exemple, avec de surcroît cette complication de caractère par un apport asiatique. Allez donc comprendre les sentiments d’un Japonais, derrière son rictus-sourire-béat ! L’Asiatique reste imperméable. Le Mauricien, hybride complexe, gardera de ce côté asiate cette complication tortueuse de la forme de pensée. Rien n’est dit bien directement, c’est l’anticartésien. C’est une autre tournure et une autre forme d’esprit ! C’est la vraisemblance qui compte, pas la vérité !!!

 

MARCHE MAURICIEN

 

Cette capitale et seul port de l’Ile, Port Louis du nom de Louis XIV dont le capitaine Dufresne d’Arsel prit possession de l’Ile en 1715, n’a plus aujourd’hui sa valeur portuaire d’avant la percée du canal de Suez. Toutefois, cet actif petit port du monde ne connaît ni trêve ni répit à travers la valse des paquebots et frêles embarcations qui l’accostent.

On passera rapidement devant la cathédrale St Louis qui renferme le tombeau de Madame de la Bourdonnais, pour croiser ensuite l’obélisque anglais érigé sur le tombeau d’un Gouverneur français.

Revenons au marché de Port Louis pour passer rapidement en revue ces multiples étalages de textiles, de fruits, d’épices et de coquillages divers offerts pour quelques heureuses roupies. Un dinar vaut environ 17 roupies. La foule bigarrée de ce marché de gros se perd entre les étalages et monticules de mangues, litchis, ananas, papayes ou de tomates. Après l’afflux du matin, nous retrouvons un peu nos souks, dans ce vieux marché central. On y trouve de tout, des saris en soie au fameux marchand d’herbes, apothicaire à la devanture significative… qui vous prescrit des herbes guérisseuses pour arrêter une rage de dent, une hémorragie ou une crise de foie…A 16 heures, tout s’arrête comme dans tout Maurice, qui vit à l’heure vieille Angleterre, avec bien sûr la conduite à gauche !!!

A la sortie de ce tumultueux marché couvert, nous retrouvons des rues étroites et encombrées qui rappellent ces rues de Tobago à Trinité.

De très vieilles voitures bien entretenus déambulent lentement, en croisant de belles Mauriciennes aux longs cheveux tressés ou des vendeurs d’un genre de tortilla farcie de légumes très épicés, d’une saveur esquisse.

Après la mosquée El Jummah, nous retournons vers la Place du Gouvernement en nous arrêtant au Café Flore à la grande salle climatisée et fraîche. Là, nous rejoint Catherine Pigeon, qui abandonna ses études économiques et financières parisiennes depuis dix ans…pour trouver refuge à l’Ile Maurice et monter son atelier de couture avec son sigle de « Cat-Colomba ». Après avoir longtemps disserté en groupe sur ces petites cases multiples qui forment notre cerveau, étanches et isolés chez l’homme, mais communicantes par une base chez la femme (ses cycles et son corps), nous laissons de côté toute misogynie mauricienne, pour écouter Catherine s’extasier sur son pays adoptif : « je devrais être entre Paris et New York dans des affaires financières stressantes…ma destiné a changé avec Maurice qui me donne et redonne la qualité de la vie. Dans ma maison en bord de mer, je me laisse bercer par les froufrous des vagues et le chant des oiseaux. En compagnie des Mauriciens, je redécouvre moult valeurs humaines et en plus je me trouve un champ pour ma vocation nouvelle ».

Mais Maurice n’est pas un Paradis pour étrangers. Le permis de séjour de longue durée est très dur à obtenir, à moins de venir avec des millions de dollars à investir, comme certains Hongkongais qui craignent le sort futur de leur île, ou comme certains Japonais qui veulent diversifier leurs investissements…

 

LA CANNE A SUCRE

 

En descendant une pente de colline, mon ami Mauricien ferme le contact de sa voiture et la laisse ainsi glisser. En voyant mon étonnement, il me rit au nez et m’explique : « c’est le système CASCOLLE » en créole, c’est casser le collé, donc en logique linguistique créole, enlever ou ôter le contact, qui n’est plus ainsi « collé »…cela fait une économie d’énergie pratiquée par la majorité des insulaires. A mon tour de lui lancer un « bon mari » ou c’est très bien ainsi, en logique linguistique créole « tu es bon mari, tu fais bien les choses ! »

Cette canne à sucre que vous voyez en bordure de route est sur tout le littoral de l’Ile, m’explique cet octogénaire blanc, au crâne rasé à la Kojac et aux lunettes suspendues par une chaîne brune. Entre-temps nous entrons dans sa ferme d’élevage, où galopent en liberté 4 000 cerfs sur des dizaines d’hectares. Bien sur que je suis Mauricien, mais d’origine française…mon fils, hélas, ne veut pas prendre la relève de nos champs…Aujourd’hui la canne à sucre ne nourrit plus le pays, qui se tourne vers d’autres horizons.

De haut de la Tour Rogers, un des rares et uniques immeubles modernes du pays, le Président de la Compagnie « Air Mauritius » et néanmoins membre du Club International des Grands Voyageurs est fier de nous exhiber l’expansion de sa compagnie. Aujourd’hui, une nouvelle ligne est ouverte sur Zürich. Les touristes continuent à arriver par flots importants et fidèles. Quand on vient à Maurice, on y revient. Le taux de retour est prés de 20 %, soit prés de 10 fois plus que la moyenne mondiale. Les Sud-africains trouvent ici, par exemple, un des rares et uniques pays du continent qui les reçoit et cela n’est qu’à trois heures d’avion de chez eux. C’est ainsi que chaque année, prés de 100 000 touristes viennent visiter l’île en y passant une moyenne de deux semaines et en venant le plus souvent de la voisine Réunion, de l’Afrique du Sud, de France et d’Angleterre.

Cette fois-ci nous sommes dans une large salle de restaurant chinois. Une lumière tamisée, un service raffiné, des plats bien mijotés et en supplément, un vieux monsieur, à la frêle ossature et puissante voix, se fait cajoler par sa guitare, pour nous bercer dans les effluves du « séga » mauricien, ce chant particulier de l’Ile. Le séga est un chant d’amour, où la femme danse en stimulant l’amour et le désir de l’homme jusqu’à un stade très endiablé et avancé, dans une belle rythmique antillaise…En fin de séga, Patrick Aknin, grand reporter installé à Maurice depuis plus d’un an, avoue avoir rarement entendu un si beau séga. C’est ainsi que s’achève notre soirée mauricienne, dans ce restaurant le « Nid d’hirondelles ».

Nous rentrons à notre hôtel par la route des écoliers, en bordant la rive, bercés par une brise d’hiver avec 20 degrés et admirant ce noir ciel orné de milliers d’étoiles lumineuses et toutes basses.

Ces rives mauriciennes connurent Baudelaire qui nous légua « Parfum exotique » tiré des « Fleurs du Mal ». « Je vois un port rempli de voiles et de mâts encore fatigués par la vague marine… » Plus loin encore je devine sans être vu le Trou aux Cerfs, un cratère volcanique de 70 mètres de diamètre et de 100 mètres de profondeur, en haut de la ville de Cure-pipe. Cratère bien sec et éteint depuis des millions d’années…contrairement à la voisine île de la Réunion que l’on visitera bientôt, après un troisième et dernier reportage sur Maurice.

 

Comptoir de la Compagnie des Indes, l’Ile de France, l’actuel Maurice, trouva par le Capitaine Mahé de la Bourdonnais un nouvel essor vers une grande vocation maritime et une âme grandement française qui ne sera même pas éraflée par le passage des Anglais. Cette terre de gros Dodos, oiseaux non volants du XVIIième siècle, vit son sol enrichi par l’ébène, le camphrier, le teck, l’acajou, l’eucalyptus, le cocotier, le bananier et par la canne à sucre qui connut une euphorie, comme aux Antilles, et qui aujourd’hui n’arrive plus à bien se vendre, avec des cours en chute libre.

Mauritius (nom hollandais) passa ainsi d’île dépeuplée, il y a moins de trois cents ans, à un port de corsaire et de commerce, à une gigantesque plantation de canne à sucre, pour devenir aujourd’hui un minuscule pays, cinq fois moins vaste que la Corse et peuplé d’un million d’habitants, vivant dans une symbiose ethnique et politique en équilibre instable.

Sur un trottoir du village de Flic-en-Flac, deux indigènes Mauriciens devisent en créole devant un tas de pierres-pavés :

« Amène to block ! Ene blok pou toi, ene blok pou moi ! ». Pour une oreille non avertie, ce créole serait du « petit nègre » ou du « broken french »…Paresseux, le Mauricien est d’une productivité assez lente…et palabre d’abord sur le déplacement de ces blocs quelques heures avant de les déplacer !

Le nom de ce curieux village bordé d’une pinède viendrait du hollandais Flac, ou Flach, qui veut dire plat…Flic serait le nom de la personne qui habite dans ce flac. Cela me rappelle l’origine de Pointe à Pitre, la Guadeloupéenne, qui était la case à Peter sur une pointe de l’île…la pointe de Pierre…Pointe à Pitre.

En allant vers Port Louis, nous traverserons une large route bordée de bougainvillées, taillées en arbres nains japonais. Une vraie merveille de la nature. A gauche de cet édifice, une grande plaque métallique, ornée de jaunes filaos : « Nettoyer, c’est bien bien ! Ne pas salir, c’est mieux ! ». Voilà un autre trait mauricien, avec un civisme réel enfant de la démocratie anglaise.

Plus loin, pousse un solitaire bagnan, ou « arbre fourche » ou encore  « arbre barbu » (origine du nom de Barbados) ou encore le multipliant, avec ses tiges tombant au sol qui deviennent des racines qui refont alors surface. Plus loin encore, c’est un défilé orange d’une liane en fleur. De partout cette dense végétation et ces essences rares.

 

REUNION NOCTURNE

 

Comme prévu, une vieille voiture anglaise vient me chercher de mon hôtel à 17 h 30, juste avant le coucher du soleil, pour me rendre à la réunion du comité d’un parti politique en gestation. Silencieux, le jeune conducteur, roule à gauche tout en bavardant en créole avec ses trois compatriotes. Nous voici pénétrant un champ de canne à sucre. La voiture s’arrête dans une clairière limitée par de grosses et ancestrales pierres noires volcaniques.

A même le sol nous attendons l’arrivée de quatre autres voitures. Très vite nous sommes une vingtaine de personnes en majorité indienne. L’invité a droit aux doléances de la foule.

Le chef quadragénaire, dans une lenteur asiatique, en contournant une idée, dans un genre de décodage à eux, commence une longue tirade économico-politique : « Aujourd’hui, le Mauricien souffre d’un taux  de chômage de 30 % et d’une inflation de 20 %. Nous trouverons encore des ouvrières à 150 roupies par mois (17 roupies pour un dinar !), bien que leur SMIG soit fixé à 550 roupies. Le SMIG masculin est lui de 700 roupies. L’instituteur, lui, touchera 3000 roupies, le cadre supérieur, 4000 et le fonctionnaire d’Etat (la planque !) 5000 roupies, sans parler des avantages des présidents de sociétés qui perçoivent même leur 18ième mois ! »

Le part communiste LALIT et le parti socialiste MTS, par exemple, veulent libérer les travailleurs du joug du patronat ethno-politique indien.

Une bouteille de rhum se faufile entre les orateurs, qui rabâchent des phrases avec emphase et satisfaction, sans rien proposer de bien sérieux. Les yeux deviennent un peu rouges, la voix plus aiguë et la nuit plus sombre. Deux heures sont déjà écoulées et je demande à rentrer…Avec grande courtoisie, on me prie de prendre place dans une voiture japonaise vieille de plus de 10 ans et pourtant aussi chère qu’une petite maison.

Le lendemain, dans un salon cossu, je sirote un punch planteur en compagnie du Ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo et du Ministre de l’Economie et du Développement, le Dr. B. Ghurburrum. Ce dernier a quitté la médecine, contrairement à son épouse, depuis prés de vingt ans pour se donner à la politique et voir, par exemple, son pays accéder à l’indépendance en mars 1968.

Aujourd’hui l’Ile Maurice affiche un beau PNB (Produit National Brut) par tête et par an de prés de 1060 US dollars (1200 pour la Tunisie). Mais, le chômage, la mévente du sucre de canne et la diversité économique aiguisent un problème politique d’avenir. Notre Ministre médecin est moins pessimiste que ces données et pense tout d’abord à une diversification agricole. Culture maraîchère, de fruits, légumes et fleurs pour l’exportation, par exemple. La zone franche rapporte de gros bénéfices,  tout comme l’exportation du textile avec la protection de la CEE.

Le grand problème économique est la crise mondiale qui donne à Maurice une progression presque nulle du PIB, avec pourtant un accroissement de 6 % en 1984. Il s’agit de rembourser la dette extérieure avec un dollar nettement plus fort et de continuer à créer des emplois nouveaux. Quinze mille en 1984 !

A ma question, Maurice sera-t-elle bientôt une République ? J’apprends que c’est l’opposition qui freine la chose. Le pays fait partie du Commonwealth et a besoin des 2/3 des voix à l’Assemblée pour voter la République. « Nos Ministres pensent que l’opposition fait une grande erreur politique…mais que dans dix ans environ Maurice deviendra une République ». A cette même question, à l’hôtel St Géran, en fin de séjour, je ne pus obtenir du Mauricien le plus Mauricien du pays, le Vice-Premier Ministre et Ministre de la Justice, Gaetan Duval, qu’une réponse laconique : « cela viendra en son temps!». En effet, il est curieux de voir ce pays indépendant depuis 1968 qui ne se décide pas à quitter la tutelle de la couronne britannique. Couronne qui, il est vrai, donne des sécurités, économique (CEE), militaire (parapluie) et politique (un frein à la déstabilisation)…

 

RIVIERE NOIRE

 

En quittant Tamarin ce matin, j’arrive trop tard pour participer à une pêche au gros, dans cette mer poissonneuse en thons, espadons et barracudas, ou même à une pêche de laffes, sortes de rascasses, de poissons-boules, poissons-chats ou poissons chirurgiens.         

 Sur la plage déserte, je repense à Maurice. Tout comme Cuba, l’Ile Maurice vit presque uniquement de la culture de canne à sucre. Drame encore plus accentué par la sécheresse de 1983. Les sept familles blanches qui possèdent les grandes terres et les sucreries ne sont plus très optimistes quant au devenir agricole de l’île et de sa stabilité politique. Ces 7 000 blancs qui restent partent vers l’Afrique du Sud et l’Europe, leur continent d’origine.

Ce sucre en faillite rapporta, malgré tout, 3 milliards de roupies (en devises), soit trois fois plus que la zone franche en 1984.

Avec très forte densité, soit 480 habitants au km², au cœur de l’Océan Indien, l’Etat doit procurer au million d’habitants, travail et santé.

800 kg de sucre, produits en moyenne par habitant rapportent aujourd’hui 60 % des exportations de l’île mais ne doivent pas faire oublier au pays qu’il doit devenir auto-suffisant. Il faut penser à une autre culture que celle de l’exportation et de compter sur ses propres forces, comme dans d’autres pays tiers-mondistes, tels que Cuba, Sénégal, Mexique ou Kenya !

C’est que la pomme de terre, le maïs et les fruits et les légumes sont les nouvelles vedettes agricoles du pays.

Dépourvue de toute ressource minière, l’Ile Maurice, membre des pays de l’ACP, a son sucre acheté par la CEE à un taux préférentiel, mais reste trop dépendante de cette denrée.

Avec un endettement de prés de 250 millions de dinars, soit 36 % du PNB, le pays doit faire face à un important service de la dette.

Aujourd’hui, le Premier Ministre Jugnauth continue à pratiquer une politique d’austérité, pour réduire sa dépendance du commerce extérieur et sa pauvreté. L’avenir mauricien peut être sauvegardé par cette équipe dirigeante en doublant d’adresse, de progrès et d’équité.

 

ADIEU MAURITIUS

 

Un vrai voyage, en cette fin de journée, dans le jardin botanique de Pamplemousse, et une ivresse d’odeurs de canneliers, muscadiers et girofliers à travers de belles allées de palmiers tallipots qui ne fleurissent qu’à 10 ans pour mourir juste après.

Ce soir, c’est la pleine lune, sur la plage de l’hôtel La Frégate. Non, ce n’est pas une pleine lune, mais une lune bien curieuse, où le croissant lunaire absent est malgré tout visible dans un halo magique et irréel. Une demi-lune blanche avec demi-lune noire…

Ces mêmes rêveries ont poussé Baudelaire à écrire « L’invitation au voyage », Charles Darwin à subir le charme de l’île, tout comme l’agriculteur Poivre et l’auteur de « Paul et Virginie », Bernardin de St Pierre.

En dégustant le jus de la canne à sucre, l’arack, ou le rhum véritable fermentation de la mélasse, ou fermentation et distillation du jus de canne à sucre, les pirates, marins, poètes et aventuriers ont tous succombé au charme de cette île. Ile de grâce, de charme, de calme, de paix, de beauté et de grande évasion à 12 mille kilomètres au Sud de Tunis…Adieu Maurice !    

 

Rached Trimèche

www.cigv.com

            

 

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EXTRAIT DU JOURNAL LA PRESSE :

 

Votre journal « La Presse » vient de vous proposer, sans fatigue aucune, un long périple en Océan Indien.

Par la plume de notre reporter Rached TRIMECHE, les lecteurs de « La Presse » ont depuis le temps perdu tout vertige, à travers les reportages de notre ami en 1971 en Amérique latine, en 1974 en Océanie et en Asie du Sud-Est, en 1982 un périple Grandes Antilles, en 1984 un autre reportage aux Petites Antilles et enfin cette année c’est la découverte de l’Océan Indien pour les fidèles lecteurs de « La Presse ».

Cette fois-ci, nous mettrons 24 heures pour aller de Tunis à Port-Louis, la capitale de l’Ile Maurice, en transitant par Paris, Nairobi et Saint-Denis de la Réunion.

On reprendra bien vite notre souffle pour partir à la découverte de ce pays insulaire d’un million d’habitants au cœur de l’Océan Indien. Océan qui permit à certains habitants de l’Inde de venir vers cette Ile Maurice pour y détenir, aujourd’hui, la majorité ethnique et politique, dans un décor de grande chaleur humaine et de paysages tropicaux. Gaëtan Duval, Vice-Ministre du pays, ainsi que le Ministre de l’Economie et celui des Finances, nous parleront de leur pays…

Nous volerons ensuite vers Saint-Denis, capitale de l’Ile de la Réunion. Nous sommes ici dans un DOM français, bien différent des autres DOM déjà visités, Martinique ou Guadeloupe par exemple…Ici le problème indépendantiste et encore très loin de Nouméa et assez loin de la Guadeloupe. Ce « rocher » volcanique vous dévoilera certains de ses secrets « français » où les « Z’oreilles » commencent à parler créole en dégustant un barracuda grillé sur un feu de bois en bord de mer…

En fin de périple, nous irons à la découverte d’un des plus beaux pays du monde (et Dieu seul sait s’il est grand !), vers les SEYCHELLES.

Dans cet archipel de 94 îles connues, nous irons visiter les Iles de Mahé, de Praslin et de la Digue. Dans la première de ces îles, nous aurons un long entretien avec France Albert RENE, Président de la République, qui sera reproduit dans notre journal. Dans l’Ile de Praslin, nous découvrirons l’insolite vallée de Mai, véritable forêt équatoriale, avec ses inoubliables cocos-de-mer et ses perroquets noirs, tous entourés d’une mer azur et de plages bordées de palmiers langoureux. Nous passerons une nuit dans l’Ile de la Chauve-souris, face à Praslin, pour terminer notre séjour par une autre importante île des Seychelles ; la Digue ! Aux amateurs de paix, de beauté et de tranquillité, la Digue vous invite à utiliser ses chars à bœufs ancestraux, ses petits vélos et vos muscles de jarrets pour visiter un des plus beaux et paradisiaques îlots du monde, sur un rocher de granit vieux de 6 millions d’années, qui a été découvert au XIVième siècle par Ibn Batouta bien avant l’arrivée des Français et des Anglais.

En découvrant les Seychelles, Ibn Batouta, le Grand Voyageur Maghrébin, a déjà dit ce que dit chaque touriste qui arrive aux Seychelles « l’Eden est ici !». Suivons notre carte de parcours et reprenons ensemble dés demain notre périple en Océan Indien.

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Rached Trimèche

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