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Léon au Gabon

Par Rached Trimèche

 

Libreville. (Octobre 1998). La rage du départ, la soif de la découverte et le culte de l’amitié poussent souvent le voyageur à faire plus d’une folie pour « retrouver l’ami ». Je repense à cette amie de Sydney en 1973, découverte après mille péripéties à Rose Bay et au cours de la même année au copain vietnamien qu’il fut impossible de rencontrer en temps de guerre à cause du couvre-feu, ou encore à cet ami de Guadeloupe où le destin me poussa à « faire son mur » pour le rejoindre au risque de ma vie. Je repense également à ce camarade de Kiruna, au nord du cercle polaire, qui m’a valu le titre de « frigorifié sur autoroute » et à des dizaines d’autres compagnons de voyage rencontrés dans mes 158 pays visités. L’irrésistible envie de retrouver l’ami, l’indigène m’a toujours offert le plus précieux des guides. Le dromomane ne peut se passer de l’autre ! Un pays à découvrir n’a de sens et de valeur que par la connaissance de ses autochtones.

 

 

Nous survolons le fleuve Gabâo ou plutôt l’estuaire du fleuve Como – en forme de veste de marin – dénommé ainsi par les Portugais depuis 1472. Sur le tarmac de l’aéroport, l’air moite et lourd nous prend à la gorge. Les hibiscus se fraient péniblement une place entre les cocotiers géants, les filaos sans fin et les lauriers en fleurs. Nous sommes bien au niveau de l’équateur.

Au box d’Air France, trois jeunes et charmantes demoiselles en tenue bleue somnolent un stylo à la main, cherchant au plafond un ovni invisible et silencieux. Connaissant la joyeuse réputation de mon vieil ami dont je n’ai plus aucune coordonnée, je m’adresse à elles. Toutes les trois connaissent Léon. « Sésame ouvre-toi ». En vingt minutes à peine, j’ai déjà deux numéros de téléphone. Mais les deux sonnent en vain.

À l’hôtel, après une rapide douche salvatrice je re-téléphone. Pas âme qui vive.

À la réception de l’hôtel, on m’explique enfin que Léon Folquet est un homme insaisissable à Libreville et qu’en cette période d’élections présidentielles, il devait être fort occupé. Entendant notre entretien, un jeune diplomate africain, hôte de cet hôtel depuis un mois, propose de m’accompagner sur le champ chez Léon dans sa belle Mercedes.

Nous quittons rapidement routes et sentiers pour emprunter une piste chaotique et boueuse qui se termine devant un sanctuaire évangélique. Mon diplomate me dit : « C’est là qu’il vient tous les soirs, attendez-le ! ».

 

Quel est ton problème mon fils ?

Après une heure d’attente, je suis pris de passion par cette cinquantaine de personnes à la pupille dilatée et au sérieux sans pareil, assises sur des bancs de bois branlants. Ce n’est pas une église ni un sanctuaire, mais une cour des miracles où se résolvent, par la prière et les chansons, vos problèmes de cœur et d’argent.

L’homme, cette algue évoluée, ne peut se passer de foi, de croyance et d’espoir. Cela fait partie de son « évolution », de son statut d’être pensant. Au diable l’avarice. Quel mal y a-t-il à croire ? Le tout est de ne pas sombrer dans le vice et l’agonie.

Au bout de deux heures, un pasteur en robe blanche et écharpe noire vient vers moi et me demande :

-         Quel est ton problème mon fils ? Qu’as-tu perdu ?

-         Mon ami Léon Folquet, mon Père (avec tout mon sérieux).

-         Si vous attendez une heure de plus je vous conduirai chez lui.

Le voyage continue. Les rues sont désertes, sombres et silencieuses. De gros arbres au feuillage épais (fromagers ?) envahissent les lieux et rendent le sens de l’orientation caduc. Comme un chef, le pasteur, aidé d’un gros bâton, avale le long kilomètre qui nous sépare de la demeure de l’ami tant recherché.

Miracle ! La porte s’ouvre et je me retrouve installé seul dans un grand et luxueux salon. Une demoiselle métisse m’offre un coca frais et des biscuits et s’éclipse. Au bout d’une heure d’attente, je connais par cœur toutes les photos murales, le grand nombre de toiles d’araignées, la beauté des sculptures africaines et surtout ce buste de pierre verte collé sur une plaque de verre. Je tousse, toussote, siffle, sifflote et tambourine sur la table avec une fourchette. Enfin le bruit d’un pas félin. Elle est là, belle comme un ange et bavarde comme une pie, moulée dans trois pouces de cotonnades. C’est la nièce métisse de Toulouse qui vient passer un mois en Afrique chez tonton Léon... Bien que l’ambiance soit sympathique, je commence à me lasser de ces interminables attentes à la recherche de Léon et je demande mon chemin pour rentre à l’hôtel.

- Mais il n’est pas question d’aller seul à cette heure tardive de la nuit. Mon amie libanaise arrive bientôt et l’on vous déposera en 4x4 à votre hôtel.

Un retour fort plaisant qui met à minuit une croix définitive sur la chasse à Léon. Suivent trois jours de brousse, de plages, de forêts et d’aventures voyageuses dans ce Gabon lointain.

Le dernier soir, nous décidons après le dîner de prendre un verre dans le club du coin, perché au premier étage d’un édifice face à la mer où une brise marine nous garantit la fraîcheur.

Nous cherchons l’escalier de service pour accéder à l’étage. Faute de lumière, c’est la musique endiablée qui nous guide. À l’avant-dernière marche, je sens le monde entier chavirer et je mets sur le compte de ma fatigue africaine le sens des paroles chantées. Soudain, les mots deviennent intelligibles et le chœur plus chaleureux. Un même refrain revient sur les lèvres des quatre chanteurs de l’orchestre : « Léon Folquet, si tu savais ».

Je fonce sur l’orchestre avec une simple question : où est Léon ?

Je me frotte les yeux. Je respire profondément et j’aborde ce joyeux luron encadré de deux belles brunes et de huit messieurs en cravate et chemise blanche. La moitié du gouvernement est là en cette fin de soirée électorale et notre cher Léon, « conseiller du roi », commande en riant du champagne pour tous en criant : « que la fête commence ! »

 

Il est déjà six heures du matin. J’ai juste le temps d’attraper mon sac de voyage à l’hôtel pour ne pas rater mon avion pour Tunis. Sacré Léon, t’es dur à trouver. Mais quelle soirée d’enfer !

À 10 000 mètres d’altitude, notre avion prend sa vitesse de croisière et un léger sommeil envahit les passagers. Entre deux idées, un rêve et une pensée, je revis ma petite aventure à la recherche de Léon Folquet et constate plus que jamais que le hasard est le maître mot de la vie !

 

Ce fameux atome d’hydrogène

C’était il y a plusieurs milliards d’années. Dans l’espace flottaient quelques atomes dont celui de l’hydrogène. La voûte céleste profonde et mystérieuse était traversée par des « énergies ». Un ensemble d’atomes perdus passait de l’état gazeux à un autre plus solide. Arrive plus tard le Big Bang. Une formidable masse d’énergie éclate et forme astres, étoiles et soleil. La Terre prend forme et pied. Ce fameux atome d’hydrogène dédoublé s’accouple à un atome d’oxygène et l’eau, source de toute vie, jaillit sur terre. La planète se structure, les océans se forment, les plaques tectoniques se stabilisent et une précieuse couche d’atmosphère se constitue. La vie apparaît avec la naissance du premier organisme unicellulaire. Une bactérie peut-être ? Le soleil aidant, la photosynthèse fera vivre la première algue. Est-ce l’algue, la bactérie ou une autre forme de vie qui prit place en premier ? Qui le sait vraiment ? Darwin ne nous donne qu’un simple mode de raisonnement. Rapidement, l’évolution de l’espèce aboutit à l’homme. Et nous voilà aujourd’hui en quête de notre identité et surtout à nous demander si d’autres formes de vie existent ailleurs que sur notre planète. Je pense que oui ! Le hasard de l’évolution terrestre a engendré l’homme qui ne peut communiquer qu’avec ce qui lui est semblable. Imaginons avant ou après le Big Bang un autre atome d’hydrogène qui fera d’autres liaisons et qui logera dans une autre planète. La « vie » apparaîtra, certes. Vie au sens de « vivant ». Le seul problème reste la « communication ». Comment communiquer avec ces autres vies appelées par certains extraterrestres ? N’ayant pas les mêmes « structures humaines », on ne peut pas communiquer. Un jour peut-être, une espèce vivante de la voûte céleste viendra à nous et « décodera » notre raisonnement, notre langage, notre pensée ! Le temps au temps. Le soleil a encore une durée de vie de cinq milliards d’années et autant de vie  ou de survie à notre planète. Elle enfantera peut-être d’autres « Bill Gates » qui déchiffreront une des centaines de milliards de galaxies et décrypteront ainsi sa « vie ». Entre-temps hélas, le nombre de galaxies ne fera que croître et bien malin sera celui qui saura. À la grâce de Dieu !

 

Sacré Léon ! Tu m’en fais voir de toutes les couleurs et tu chambardes même ma somnolence dans un avion ! « Léon Folquet si tu savais... »

 

Rached Trimèche

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