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La Lituanie

Au Cœur des Pays Baltes

 

Vilnius. (Août 1999). Le plus peuplé des pays baltes, la Lituanie, compte 3,8 millions d’habitants sur une superficie de 65 301 km2. Vilnius, la capitale, compte 650 000 habitants. La Lettonie, la Pologne, la Russie, la Biélorussie et quelques kilomètres de côtes sur la Baltique forment les frontières de ce pays. Le plus grand des pays baltes bénéficie du meilleur potentiel agricole et industriel en voie de reconstitution avec une croissance soutenue depuis cinq ans. Affectée par la crise russe ainsi que par ses problèmes internes, la Lituanie attire moins la sympathie de l’Union Européenne.

 

 

La zone de Kaliningrad, ce zeste de Russie, est enclavée en Lituanie. Cette zone militaire est un aiguillon dans les talons du pays. Puissance agricole régionale grâce aux céréales, à la pomme de terre et à la betterave à sucre, la Lituanie subit de plein fouet la crise de la Russie par ses exportations. Vilnius devra accélérer le rythme de ses réformes économiques pour rejoindre la vitesse de croisière des deux autres pays baltes et espérer un jour son intégration à l’Union Européenne. Kaliningrad ou Königsberg est un port de Russie enclavé en Lituanie, sur la Baltique. Aujourd’hui, les soldats russes refoulés de l’ex-RDA étant ici, la Russie s’oppose en effet à l’entrée de la Lituanie dans l’Union Européenne, car Kaliningrad sera sous la coupe de l’OTAN. Depuis quatre ans, cette enclave militaire est accessible au public. Il ne reste du KGB que d’énormes mansardes peuplées de gros rats.

L’histoire de ce pays est particulière. En 1240, Mindaugas fonde le Grand-duché de Lituanie avec des tribus balto-slaves qui combattront les chevaliers Teutoniques, les Porte-glaive détenteurs de l’hégémonie prussienne. En 1385, la Lituanie s’allie à la Pologne et le Grand Duc deviendra Roi de Pologne sous le nom de Ladislas II. Le territoire de la Lituanie s’agrandit ainsi jusqu’à la mer Noire et le catholicisme embrasse le pays jusqu’en 1569 avec la création de l’Etat polono-lituanien. Mais deux siècles plus tard, l’Empire russe annexera la majorité du pays et en 1915, la Lituanie sera occupée par les Allemands. Le pays proclame son indépendance en 1920, mais le pacte germano-soviétique ballottera la Lituanie entre l’URSS et l’Allemagne de 1940 à 1990, jusqu’au jour où Landsbergis conduira le pays à son indépendance. En 1998, il pousse Adamkus à la tête de l’État.

La route est de moins en moins fleurie entre Vilnius et Kaunas. Les beaux bouleaux et les peupliers cèdent le pas à de lugubres usines en béton armé. Audrius, notre ami, se faufile avec dextérité dans sa petite voiture russe à travers le dédale de rues serpentines de Kaunas, l’ancienne capitale de la Lituanie. Le voilà qui s’arrête dans un terrain de basket-ball juché sur le pic d’une colline. Nous sommes dans un lycée qui a l’avantage d’avoir la plus belle vue de la ville. Les châteaux et les vieilles demeures sont, hélas, cernées par d’immenses mastodontes appelés HLM où le vrai « modéré » n’est peut-être pas le « loyer », mais le smicard à 100 US$ le mois qui hérite d’une habitation de l’ancien Empire russe. Plus tard, nous découvrirons l’appartement où notre ami ingénieur et son épouse physicienne (avec un doctorat à la clé) partagent un 70 m2 ! Dans cette cage d’escalier du siècle passé où le gris et le noir s’accommodent de la misère des lieux et où les compteurs électriques occupent la place d’une demi-porte, les marches ne sont plus qu’une ombre de carrelage.

 

La découverte de la ville de Kaunas

L’intérieur est agréable et chaleureux. La fée du logis fera d’un balcon de 3 m2 à peine tour à tour un séchoir, un jardin d’hiver, une table de jeu et même un lieu de culture de trois magnifiques et « microscopiques » bonsaïs. Le cœur sur la main, elle nous offrira un vin du pays, des dragées roses et bleues et, pour le train de nuit du lendemain qui nous ramènera à Riga en Lettonie voisine, une tablette de chocolat aux amandes. Le plus touchant est ailleurs. C’est une véritable mansarde de 4 m2 aménagée en douillet nid d‘amour face au petit jardin d’hiver. Elle a peut-être 90 ans. Bon pied, bon œil, la grand-maman nous invite à feuilleter son album et les journaux de la semaine. Elle est là, belle, majestueuse et musclée à Rome, à côté de Mussolini qui remet la médaille d’or à l’équipe féminine de basket-ball de Lituanie. Les journaux de la ville honorent leurs aînés et arborent à la une les photos des anciennes basketteuses de Kaunas. Je ne peux retenir une larme émue et je garderai longtemps en tête le souvenir de cette page d’amour, de tendresse et de civisme.

La découverte de la ville de Kaunas commence par une allée fleurie où il est non seulement interdit de circuler, mais aussi de fumer. Curieuse allée où les restaurants se partagent équitablement tous les trottoirs, où Pepsi-Cola s’approprie toute l’aile gauche face à Coca-cola qui occupe la rive droite. Imaginez près de 800 mètres de terrasses successives de chaque côté de l’avenue bordée de peupliers, de lauriers et d’hibiscus à fleurs rouges. Ces dizaines de parasols publicitaires américanisés détonent dans un pays où le souffle russe garde encore toute sa vigueur. En entrée, des pommes de terre en robe des champs, en plat principal un consistant Copelinai en robe du soir et encore des pommes de terre, en jupette caramélisée cette fois, en dessert. Ce tubercule de Parmentier tient le haut du pavé. Etant attablés rive droite, le tout est arrosé de Coca-cola. 39 lats ou 9 US$, telle est l’addition d’un copieux repas pour quatre personnes, glace et café inclus.

Drôle de queue que ces voitures et ces camions font devant deux jeunes barbus en salopette bleue qui démontent tour à tour une partie des moteurs des véhicules en stationnement. Il s’agit de brancher un gros  tuyau d’alimentation d’une citerne de gaz au véhicule. Boulons, vis et écrous se mêlent à volonté afin que le réservoir de notre voiture se remplisse de trente litres de gaz pour 24 lats ou 5 US$, soit 30 % du prix de l’essence. Il suffit hélas d’un court-circuit ou d’un bête incendie pour qu’un véhicule au G.P.L. (Gaz de Pétrole Liquéfié) sans dispositif de sécurité explose comme une ogive nucléaire. Quand le salaire moyen n’est que de 100 US$, le choix est simple : rouler au gaz ou ne pas rouler du tout !

Cinq cents mètres plus loin, une dizaine de Lituaniens découvrent comme pour la première fois une sobre allée historique. Ils sont cinq, ils sont dix, ils sont vingt. Vingt bustes en bronze. Vingt héros libérateurs de l’ancienne capitale de Lituanie. La pureté du socle en marbre noir, la fierté du regard d’acier, l’impeccable aménagement des lieux et la flamme éternelle qui brûle sur un piédestal au fond de l’allée m’arrachent une nouvelle larme d’émotion face à la grandeur de ces héros et de ce peuple qui continue à leur rendre hommage. Quarante ans après.

Pour digérer nos pommes de terre et oublier nos émotions, nous acceptons une invitation de Satan. Au musée « Ciurluohis », le diable est seigneur et maître à travers les âges. On le découvre sur trois étages et sous des milliers de robes. En peinture, en jade, en bois, en verre, en tissu ou en fer. C’est le même enfer du diable avec cornes, lance et baguette de feu. A. Zmuimzihavi, jeune peinte lituanien décédé en 1932 à l’âge de 30 ans, lui consacre dans ce temple une centaine de toile où la mort règne en monarque absolu.

« Le Château de Trakaï vaut vraiment le détour » persiste et signe notre guide kiwanien. Un énorme lac où l’émeraude, le vert et le bleu créent un pastel qui invite le regard à errer dans sa magie. La Suisse de mon enfance et ses lacs mirifiques reviennent à fleur de mémoire. Mais ce lac a ceci de particulier : il s’étale et s’étire langoureusement face à un château médiéval qui de l’histoire de la Lituanie garde tous les secrets. En cette fin d’après-midi, une Kalnapilis, bière fraîche du pays, est la bienvenue face au Château de Tarkaï qui retrace la vie des seigneurs d’antan. Mais Zi délaisse cette grande histoire pour une autre histoire qui le passionne et dilate fortement sa pupille. L’histoire d’un moustique de 40 millions d’années. « Prasau ! » lui lance cette belle créature face à laquelle l’Allemande Claudia Schiffer ne serait qu’une pâle copie, en guise de bienvenue. Des dizaines de paillettes dorées et gazouillantes ornent ses beaux yeux verts qui enveloppent le sourire de Zi, le voyageur en extase face à ce moustique emprisonné dans une gélatine de 40 millions d’années. Il lui lance un « Atchou » phonétique ou Aciu pour la remercier. Et la jeune dame de lui conter la saga de ce moustique qui pourrait inspirer Spielberg pour un nouveau « Jurassic Park ».

...Sur la rive de ce lac, les conifères poussaient par centaines de milliers et s’élevaient aux cieux pour humer la rosée du matin et la brise du soir. Au printemps, la terre se réveille, les sapins sortent de leur torpeur et leur sève ne fait qu’un tour pour redonner fraîcheur et éclat à l’arbre. L’excès de sève, profitant d’une blessure, quitte son tronc nourricier, s’égoutte vers le sol et voilà qu’une larme tombe sur un moustique qu’elle englue et enferme. C’est l’époque où la terre change de texture et où se crée la mer Baltique, qui engloutit toutes ces forêts d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie ainsi que le moustique prisonnier de la sève...

Quarante millions d’années plus tard, la belle jeune dame aux yeux verts trouva un matin en bord de plage une pierre jaune-orange. En fait, cette pierre n’en est pas une. C’est le précieux ambre de la Baltique, fruit d’une cristallisation et d’une fossilisation. Cette résine fossile provenant des conifères de l’oligocène est dite ambre jaune ou succin. Elle est fascinante avec ses deux millions de couleurs qui vont du blanc neige au rouge brique, en passant par un dégradé infini de jaune et d’orange...

 

La valse des capitales reprend. Tallinn, Riga, Vilnius

Je me souviendrai du jour où j’ai cassé mes lunettes à Riga. Face à l’oculiste qui répare ma monture, je découvre une charmante Lettone qui expose dans son étal une merveille unique. Un bloc de 15 centimètres de long, un joyau d’ambre blanc laiteux. Quelle bêtise que de ne pas l’avoir acheté ! L’histoire de l’ambre est en fait encore plus complexe. Cet ambre de la mer Baltique a un autre cousin. Gris cette fois, il provient de la concrétion intestinale fournie par le cachalot, ce gros poisson dont les intestins refusent une certaine alimentation marine qui, broyée, mâchée et rejetée, devient un ambre gris qui s’avère un excellent fixateur de parfum. L’ambre dont le nom est d’origine arabe, el anbar, aurait une troisième forme, végétale. Une plante grasse musquée, semblable au géranium, communément appelée, et peut-être à tort, ambre végétale.

Sept heures du matin. Déjà. Après les formalités douanières, l’aéroport de Tallinn nous ouvre ses free-shops. Un gigantesque et austère sac de plastique jaune, sans calligraphie ni dessin, rassemblera nos achats. En attendant notre correspondance pour Stockholm, la valse des capitales reprend. Tallinn, Riga, Vilnius. Quel plaisir que d’avoir visité les pays baltes en cette fin de siècle. Dans vingt ans peut-être, ils auront rejoint le rythme de la Finlande ou même celui de l’Union Européenne. Ils auront résolu le problème des russophones et libéralisé encore plus leur  économie, permettant ainsi une vie meilleure à tous leurs enfants. En cette fin de siècle, le Grand Voyageur a encore la chance de visiter certains pays avant leur métamorphose annoncée tels que la Cuba de Castro, le Yémen ancestral ou encore ces surprenants pays baltes. Un collier d’ambre jaune nous accompagnera avec son prisonnier. Un petit moustique de 40 millions d’années...

Rached Trimèche

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