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AZARINE

Le bus islandais Nr 01

 

                                              

 

 

 Par Rached Trimèche

www.cigv.com

 

 

Reykjavik. ( juillet 1996).Sur sa “Snekkja”, (grande barque de Viking), Ingel Vosh débarque en l’an 900 sur la côte islandaise. Le premier colon d’Islande arrive de Norvège avec des esclaves irlandais et de curieux petits pieux de bois sacrés et dorés...Il jette au large ces bois dorés qui dériveront pour accoster ensuite sur une rive de l’île d’Islande, au lieu même choisi par les Dieux pour habiter l’Islande...! Ainsi fut créée REYKJAVIK, l’actuelle capitale islandaise où arrivèrent ces bois dorés. Les esclaves, eux, durent aller aux îles Wesman (îles de l’homme de l’ouest). Avant l’arrivée d’Ingel Vosh, seul, le renard peuplait cette immense île de l’Atlantique du bout du monde, deux fois et demie plus vaste que la Suisse.

 

Ce midi AZARINE  et ses confrères de la presse partent en excursion,en bus.

Cette lointaine terre d’Islande restera pour le monde une île aux sagas, un peu comme un musée vivant peuplé de spécimens parlant une langue ancestrale intacte.

Ce musée de géographie planétaire est ainsi doublé d’un musée d’histoire humaine scandinave.

Incroyable et lointaine terre d’Islande aux mille facettes différentes et insolites. Déjà au IXème et Xème siècle, des auteurs anonymes ont écrits de longs récits littéraires ou légendes de 400 pages chacune, les Sagas. Le langage de ces Sagas est celui du Viking conquérant et aussi celui de l’Islandais de 1996.

L’islandais , langage celte, est d’origine scandinave et germanique. Il permet de lire aujourd’hui, comme dans un journal, les antiques Sagas...qui parlent de la vie de l’Islandais dans cette terre étrange et lointaine du bout du monde.

En l’an 1789,  en juillet dit-on, un très fort tremblement de terre a effondré cette “vallée du parlement”, où nous sommes ce matin, à 144 mètres au-dessous du niveau du sol, ou de la mer.

Aux deux extrémités de cette immense vallée, s’élèvent des murs noirs, ou failles. La faille gauche est sur la plaque qui porte le continent européen. Avec joie et amusement, nous passons la frontière des continents sans visa aucun.  De chaque côté des failles, au sein de la vallée affaissée, coule un ruisseau dans une profonde fissure. La température de l’eau de cette fissure est de 3 degrés pendant les douze mois de l’année, après avoir été filtrée en amont par la lave volcanique. L’heure de la nuit approche avec un beau soleil à l’horizon, il faut penser au retour à Reykjavik, après cette dernière halte à la vallée effondrée à Thingvelliv, où existait en l’an 1.000, le premier parlement islandais, le PINGVALLATAN, PING (assemblée), VALLATAN (chambre). Un drapeau islandais flotte solitaire et fier dans cette vallée du bout du monde. Une croix rouge (la couleur des volcans) bordée de blanc (les glaciers) dans un espace bleu (les montagnes), tel est le drapeau d’Islande.

Songeur, je me penche  sur cette fissure de 5 mètres de profondeur et contemple les pièces de monnaie nettement visibles que les touristes superstitieux jettent  lors de leur passage. C’est un peu la fontaine de Trévi à Rome.

 

Pour nous faire revivre cette Assemblée Populaire de la vallée affaissée, notre guide érudite nous raconte qu’aux environs de cette fissure on jetait la femme adultère, vivante, dans un trou profond plein d’eau. Quant à l’homme adultère, s’il était reconnu coupable, avec preuve à l’appui, on s’empressait de lui couper la tête.

 

VERTIGE et PASSION

 

Soudain, AZARINE chancelle, vacille et s’agrippe à un tronc d’arbre. La journée d’hier qu’elle voulait effacer de sa mémoire -définitivement- revient à la charge, au galop, au trot.

 

Tout revient en flash-back, intact, sonore et vibrant. Toute cette aventure qu’elle voulait pourtant oublier. C’est déjà trop tard, le passé est bien présent et le présent déjà futur.

Comment a-t-elle donc chaviré si vite ? Elle, l’imperturbable,  est déçue et si heureuse en même temps.

Elle ferme les yeux et revit d’un trait ces dernières 24 heures. Un grand déjeuner est offert aux congressistes de l’OTAN. Les tables sont éparses et asymétriques. Elle trône au centre de l’une d’elles encadrée par un Français volubile, un Islandais longiligne et un reporter Sénégalais discret. Princesse, elle s’amuse à les écouter tous trois et ne fait nullement attention à Hervé qui passe devant sa table pour la deuxième fois et qui lui dit avec un large sourire: “Votre table est princière...”

Une heure plus tard, ce même Hervé    aux lunettes d’écaille et au sourire fidèle et franc revient vers AZARINE et déchiffre à haute voix son badge. La langue française commune aux deux facilite les rapports mais attise l’orage. Hervé    explique à AZARINE que Présidente d’un club n’est pas Président...et qu’elle était donc une présidente et non un président. Quel verbiage décousu et insensé. Elle répond sèchement et négativement et lui tourne le dos.

Trente secondes plus tard, Hervé    revient à la charge pour la troisième fois en quelques heures et fait de sorte de monter en même temps qu’elle au bus N°01, bus qui n’est certes pas le sien.

Soudain, AZARINE se réveille et commence à trouver toutes ces coïncidences bizarres, elle prend place avec son camarade à la première rangée ,juste devant Hervé    qui ne désarme pas et qui commence à parler de voyage et d’aventure. Du coup tout change. Les quatre yeux du siège avant se braquent sur l’orateur disert et narquois.

AZARINE sent le regard pénétrant de Hervé   , se sent transpercée par lui, se sent survoltée et conquise et cache le tout. Elle joue l’indifférente mais avale tous les mots de Hervé   . Le trio est volubile et la visite devient une partie de rire et de joie où Hervé    n’a d’yeux que pour AZARINE qui l’attise par ses sourires et ses  mille et une questions...

 

AZARINE et Hervé  

 

Le soir venu, les congressistes d’Islande se retrouvent au hall de l’hôtel.

Happée par la foule, AZARINE perd de vue Hervé    qui la retrouve à bout de souffle pour lui dire seulement:“Je vais me changer, réserve une table et garde-moi ta gauche ou ta droite”. Inge, la camarade d’AZARINE, lance un moqueur:“Rien que ça le monsieur, la droite ou la gauche de la dame!”

Dix minutes plus tard, Hervé   , une fleur rouge à la boutonnière, retrouve AZARINE moulée dans un mince fourreau bleu aux mille paillettes métallisées. Elle est superbe, divine, gracieuse et surtout désirable. Et elle le sait.

Elle se fait câline, tendre et discrète, invite deux couples d’amis à sa table et offre sa droite au volubile personnage du bus N°01.

Ce congrès des pays de l’OCDE tenu en Islande attire beaucoup de journalistes. Hervé    représente le Figaro de Paris, elle “La Suisse”, et les deux couples sont du “Die Welt” d’Allemagne et du journal“Le Soir” de Bruxelles. La table est bien onusienne mais elle n’a d’yeux ( et d’épaule) que pour cet étrange Hervé   .

La soirée dansante passe très vite. Le champagne et le caviar chevauchent saumon fumé et moult délicatesses.

Il est déjà 2 heures du matin, la salle se vide et AZARINE propose à  ses amis Helmut et Claudia d’aller à quatre à la boîte de l’hôtel.

Elle repense soudain au Comte Alexander Von Urach qui la laissa si froide et distante dans cet ascenseur bloqué de Genève et se love au coin d’un fauteuil rouge sang, collée à Hervé et face au couple d’amis.

Hervé    ne sait au juste sur quel pied danser. Il part à New York le lendemain matin et ne sait comment accélérer les choses. Faut-il reporter cet instant de grâce, cet aura, ce moment de félicité ou est-il préférable de tout bousculer et de l’inviter dans la chambre de son hôtel, qui n’est pas celui d’AZARINE ? Les prétextes ne manquent pas.

Un slow bien américain pousse nos amis dans un tendre et encore respectueux « voyage-collé-dansé ».

L’adrénaline des deux compères est à sa décharge maximum et aucun serrement n’est trop avancé. Les deux se tâtent, se bousculent et passent de l’indifférence la plus totale à l’échange de regard le plus fou et le plus foudroyant.

AZARINE sent un Hervé    respectueux ou intimidé et sait déjà que si elle ne vient pas à son secours la page d’histoire islandaise prendra fin dans ce bar de nuit.

Hervé    et AZARINE se raidissent soudain comme s’ils descendaient de leur nuage.

 AZARINE se dit: “Mais pourquoi suis-je donc hallucinée par ce type à lunettes ? Qu’a-t-il donc de plus que les autres ? Mais pourquoi est-il si profondément ancré en moi et pourquoi voit-il l’ombre même de mes pensées?Je l’adore.

Hervé    se dit :”J’ai pourtant eu l’occasion de rencontrer des dizaines d’intelligentes et belles femmes dans ma vie de reporter. Pourquoi est-ce que cette frêle créature me fait-elle chavirer de la sorte? Sa vitesse de réflexion, ses réparties, son fou rire, son sourire, sa « timidité-audace » et sa beauté me prennent dans un véritable piège à rat. Je suis coincé véritablement  pieds et poings liés sans ficelle aucune. Elle est belle et je l’aime.”

Sachant que l’art suprême d’une femme est de faire croire à un homme que c’est lui qui a décidé elle lui dit dans les yeux entre deux verres de gin tonic:” Je vais être très terre à terre Hervé   . Mais très terre à terre. Il y a un seul et unique problème à notre rencontre...”

Hervé    sent ses tempes exploser. Lui qui hésitait s’il fallait sauter le rubicond de suite ou préserver cette amitié naissante et revoir AZARINE ensuite, implose en silence et se dit “Dieu qu’elle est belle et intelligente. Je la veux de suite, ce  soir, sans ambages et sans autre verbiage ni retard aucun .

Elle lit en lui comme dans un livre ouvert et entrecroise ses fines et longues jambes, entrouvre sa belle et grande bouche divine dessinée par Michel-Ange et lui dit :” Le problème est que nous n’habitons pas le même hôtel et je vais regagner le mien avec mes amis”.

Rapide et sans même penser, Hervé    réplique :”Bien sûr AZARINE et je vous raccompagne tous les trois en voiture”.

En descendant Hervé    chuchote :” Laisse-les aller dormir” et à haute voix: “D’accord AZARINE, allons faire le tour de cette immense piscine avant de rentrer.”

 

TRAC, PASSION et EVASION

 

Deux minutes plus tard, AZARINE lui lance un “127”, numéro de sa chambre et s’évanouit dans la brume de la nuit.

Hervé    se tâte, s’écoute, se pince et respire profondément en se disant: “C’est trop beau pour être vrai, Bon Dieu! ”

Hervé    fonce sur l’ascenseur deux minutes plus tard, monte au cinquième étage et frappe délicatement puis de plus en plus fort sur la porte de la 527.

Une grosse Allemande éméchée et vulgaire lui ouvre toute grande sa porte et lui lance: “ Encore un artiste cette nuit . Je suis fatiguée et je n’ai plus rien à boire chéri”.

Eberlué et doublement déçu, Hervé    perd le nord et le sud à la fois.

L’horreur! lui qui a une parfaite mémoire d’éléphant a oublié le numéro exact de la chambre d’AZARINE. L’émotion, le vertige, le désir et l’envie n’améliorent guère la mise en ordre de cette machine cérébrale.

Derechef, Hervé    se précipite à la réception de l’hôtel, et demande au concierge à moitié endormi la liste des congressistes, car un des amis doit reprendre son livre.

 

Mais au fait, quel est le nom de famille d’AZARINE ? Ellessendoute ou Lajoimeme? La liste des noms porte soudain des ailes .Le rêve d’Icare prend place et pied. Hervé    survole cette liste, voit tous ces 42 noms de congressistes et ne pense pas une seule minute à “faire les prénoms”.Dix,quinze, vingt,vingt-cinq minutes déjà. Hervé    a survécu. Il retombe sur terre et demande un verre d’eau. Il reprend la liste et en un tierce de seconde, il découvre le vrai numéro, le 127.

La porte n’est pas fermée et même légèrement entrouverte.

Il pousse cette porte avec trente minutes de retard et se voit happé par cette furie aux pieds nus. Tout va très vite. La robe bleue métallisée l’excite encore plus et les lèvres gourmandes et silencieuses d’AZARINE lui redonnent tout l’oxygène qui lui manquait.

La chambre est noire, à peine éclairée par une faible veilleuse masquée par un foulard bleu. Les papillons peints sur le foulard en soie se réchauffent à cette lumière comme pour se préparer à une danse d’amour et accueillir leurs hôtes qui semblent vaciller entre l’anesthésie et la frénésie. Un subtil parfum bien parisien flotte dans toute cette vaste suite d’hôtel. Ce nouvel aphrodisiaque n’est certes pas nécessaire mais le voilà qui valse au rythme de cette douce musique diffusée par la radio d’AZARINE. Ce n’est pas un slow, ni un jazz, ni même un reggae, mais plutôt une symphonie à cordes et à bois qui envoûte encore plus les hôtes de cette chambre d’hôtel.

Un “plof”foudroyant semble réveiller tout l’hôtel et pousse nos deux compères dans un large éclat de rire. Le champagne est ainsi sablé et les flûtes de cristal s’entrechoquent à une vitesse vertigineuse, à l’image de l’état d’âme de nos deux étourneaux. Soudain, le serre-tête bleu pétrole qui tenait les cheveux d’AZARINE tombe et laisse flotter une épaisse chevelure châtain clair aux reflets dorés. Tout se précipite, tout chavire dans un voyage sans quais, sans voiles et sans capitaine...

 

AU REVOIR

 

“Il est 7 heures du matin Hervé   , sauve-toi, fais attention, ne prends pas froid, je dois dormir au moins deux heures avant l’excursion de demain au Pingvalantan et  mon avion pour Genève”.

 

AZARINE revient à elle face à cette faille falaise d’Islande toute en sueur. Le groupe est déjà installé dans le bus et seul la guide est auprès d’AZARINE qui se réveille petit à petit.

Cela fait cinq minutes que vous vous reposez Madame. Vous vous sentez bien ? Tenez buvez ce coca!

Demain à Genève va-t-elle recevoir un téléphone de Hervé    ou cet intermède de la vie est-il déjà au passé ? Au fait c’est plus simple ainsi. Allons !

Mais une petite voix susurre “Il est en moi, il voit à travers moi et il me perturbe. Pourvu qu’il m’oublie”

Dans le bus du retour, des paysages grandioses et insolites se bousculent et la saisissent à pleine gorge. L’Islande, cette terre du bout du monde avec ses geysers et ses fumerolles, restera à jamais gravée en elle.

 

 

Adieu terre d’Islande, terre d’amitié, de paix, de fraternité, de contrastes où le feu et la glace se côtoient, terre de cataclysmes naturels, terre de fierté et d’accueil.

 

                       

         

 

Rached Trimèche

                           (juillet 1996)

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