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AHVENANMAA

Åland sous le  soleil de  minuit

 

Par Rached Trimèche

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Mariehamn (juin 2002). Comment achever la visite de tous les pays d’un continent avec une liste 222 du CIGV qui évolue au gré du temps et de l’actualité ?

J’ai fêté mon 54e pays européen visité  à Chisinau, la capitale de la Moldavie, lors de la précédente Saint Sylvestre. L’intégration de l’archipel de Åland au sein de notre liste 222 me donne le prétexte et la chance inouïe d’aller explorer enfin, avec mon fils et compagnon de voyage Anis, mon 55e et dernier pays D4Europe. Ce continent reste  l’un des plus vastes et le plus hétéroclite de par sa diversité continentale et insulaire. Cap sur Ahvenanmaa !

 

Après deux jours au cœur même de Nokia, dans la ville de Tampere, commence une série d’avions finlandais pour nous rendre  à Mariehamn, la capitale de Åland.

L’arrivée est inoubliable. De notre hublot, nous admirons un chapelet d’îles et d’îlets qui s’égrènent à perte de vue. Des jardins flottants dans un océan bleu turquoise. Des perles ensoleillées qui défient depuis la nuit des temps les glaces et les froids du Grand Nord ! Un grand ferry rouge et blanc glisse comme un marsoin entre ces îlots et permet à son millier de passagers scandinaves de continuer à boire tranquillement leur vodka, leur gin et leur whisky à bas prix et sans restriction aucune, contrairement à Åland et à la Finlande. En quittant le bateau, à la fin d’une croisière de 24 heures ou de 12 heures, le passager emportera de surcroît, sans taxe aucune, deux autres bonnes bouteilles d’alcool… Au froid pays, elles sont un fidèle compagnon.

Au sobre petit aéroport, un petit bus jaune attend une vingtaine de passagers qui finalement préfèrent rejoindre à pied, sur un tarmac rutilant, la porte de l’aérogare. John et Anita, nos nouveaux compagnons de voyage nous proposent de monter dans leur voiture suédoise restée la veille au parking pour rejoindre le centre-ville. C’est à 200 m du port que le Skandic hôtel nous reçoit. Le temps de manger, de prendre une douche et de se réveiller quelques minutes avant minuit ! L’heure au pays de rejoindre une foule joyeuse, hirsute et sympathique, qui profitant du soleil de minuit, savoure ainsi la vie et ces longues journées d’été. Chaque rayon de soleil est un  enchantement, un instant de liberté, avant de sombrer dans un long cycle de nuit, de froid et de torpeur hivernale. Je repense à mon Islande bien-aimée et à sa merveilleuse capitale Reykjavik où le peuple se donne à cœur joie deux à trois mois de fête non-stop ! L’été avec son soleil de minuit (de juin à août) est à croquer à belles dents.

Commencent cinq nuits bien blanches, des heures de sommeil volées et un programme concocté  par Anis que nous suivons à la lettre : vélo, marche à pied, bateau, canoë et « Beach Buggy ».

Une journée de vélo avec une selle professionnelle guère confortable et mon genou fatigué n’a plus voix au chapitre des doléances. Il succombe au charme des 10 heures de randonnée en VTT ou « mountain bike ». Les routes sont de parfaits lacets asphaltés qui s’incrustent entre rivières, lacs et collines. Un paysage bucolique qui nous dope encore plus et ne cesse de nous ensorceler et surprendre. Le moindre petit pont de bois est un musée et le plus petit chalet isolé est un refuge de bonheur. Curieux pays de 21 000 habitants et 6 000 îles où nous ne croisons personne ! Ma boulimie voyageuse me pousse à jouer au passe-muraille dans l’espoir de rencontrer les habitants de ces chalets. De belles et rutilantes voitures sont sagement parquées dans leurs jardins auprès des vélos. Aucune âme qui vive. Ni musique, ni radio, ni télévision hurlante. Souvent un petit bateau est amarré au fond d’un jardin ouvrant sur la mer. L’envie d’entrer dans ces demeures fantomatiques et mystérieuses s’accentue de minute en minute. Nous sonnons à deux portes prétextant une soif de voyageur. À l’île Robinson Crusoë, à la Valette, à Maseru ou à Kigali, un pareil prétexte m’avait permis de faire les plus sympathiques connaissances de ma vie ! À Åland, je n’ai droit qu’à un verre d’eau et le temps de lancer un  tac tac  ou merci suédois, avant de voir la porte se refermer à mon nez. En fin de journée, perdus dans une forêt insulaire, nous tombons sur une famille qui déguste son thé dans le jardin. Enfin des êtres vivants ! Nous avons droit au tour du propriétaire et à l’habituel verre d’eau. Poussant le jeu un peu plus loin, je sors de ma poche un sachet de thé noir et propose à notre hôtesse de partager ainsi leur moment de détente… Sans hésiter, la douanière (de profession) nous explique qu’elle veut bien nous chercher de l’eau bouillante pour notre infusion de fortune, mais hélas, c’est déjà pour eux l’heure de fermer la maison. Les us et les coutumes de la planète en font tout le charme…

 

Chez la Tsarine 

Le jour suivant est dédié à l’épouse du Tsar Alexandre II de Russie, la reine Marie qui donna son nom à Mariehamn, la capitale  du pays. Cette ville fut fondée en 1861, à l’époque où Åland et la Finlande faisaient partie du vaste empire russe.

Mariehamn ou le Port de Marie est une ville hors du temps, où 10.000 habitants se partagent 11 km2 de forêts, de mer et de lacs. Les maisons peintes souvent en jaune moutarde gardent encore le souvenir de Saint Peters bourg et les chalets conservent leur précieux bois de conifère. Quelle surprise que de trouver au bout du monde une capitale où la poste, les hôtels et les magasins informatiques se payent les principaux édifices. De curieux  étals vous offrent des céramiques bleues de Åland, d’autres leur pain noir fourré aux noisettes ou aux noix et plus loin encore une infinité de glaces savoureuses et des rafraîchissements américanisés. Une allée bordée de tilleuls encadre une esplanade qui traverse la ville d’est en ouest, rapprochant deux ports de plaisance du palais du gouvernement autonome.

Ce pays l’est réellement avec des lois internes et une assemblée dite « Lagting » qui se veut aussi performante que les plus vieilles assemblées du monde, la  Althing  de Reykjavik en Islande ou la Lojajorga de Kaboul en Afghanistan. Autonome, le lagting de Åland chapeaute par ses lois l’enseignement, la santé, l’économie, l’administration, la police et la poste. Cette dernière, presque aussi compétente que celle des îles Féroé ne vient-elle pas de changer le code du pays de FN à Ax.

Il ne reste à la sœur aînée, la Finlande, que  les Affaires étrangères, la justice et la monnaie. C’est enfin, le Landskapsstyrelse, ou le conseil exécutif, qui forme le gouvernement de Åland avec sept membres et un chef de gouvernement dit Landtråd.

Pour réduire l’hégémonie finlandaise, le pays change également de langue et adopte le suédois comme langue véhiculaire tout en conservant sa langue finno-ougrienne. Il est vrai que dans le golfe de Botnie, l’archipel est plus proche de la Suède que de la Finlande. Depuis son rattachement à la Russie en 1809 (cédée par la Suède vaincue), Åland est démilitarisée par le traité de Paris en 1856. La Finlande cédée aussi en 1809 par la Suède devint, sous le Tsar de Russie, le grand-duché de Finlande.

L’économie d’Åland ouverte à la mer est prospère. Le tourisme propose 2 600 lits et

2 000 gîtes à un million de visiteurs argentés, sans parler de ceux qui arrivent à bord de somptueux yachts à voiles dans les trente ports de plaisance ållandais. La pêche, l’agriculture et les armateurs forment une autre richesse du pays.

Nikolai sittkoff reste le premier armateur de Mariehamn. Il importait de séduisantes marchandises étrangères qu’il vendait dans son magasin à Strandgatan. Aujourd’hui, une galerie marchande de 20 boutiques porte son nom et sa  statue garde l’entrée.

 

En vavangue 

Suivent mille et une aventures dans ce micro pays hors du temps. Je garderai longtemps au fond de ma mémoire l’image de cette puce jaune qui saute et tressaute sur chaque colline et chaque tronc d’arbre. Elle évite la mer, les canaux et les murs en béton. Elle se faufile comme un lézard dans une forêt dite vierge. Elle nous inonde de frayeur et de bonheur. Conduite par Anis, cette Beach Puggy sans toit aucun est une aventure sans pareille pour faire monter votre taux d’Adrénaline durant toute une journée.

Comme tout conte de fée, c’est déjà la fin du voyage. Nous sommes attendus à Helsinki pour déjeuner avec nos amis de Boston et rencontrer l’inventeur même du nouveau SMS, soit le MMS (Multimedia Messaging Service). Nous sommes douze passagers matinaux à l’aéroport de Mariehamn. Dix embarquent déjà à bord de notre petit ATR 42 bardé d’une large croix bleue sur fond blanc. J’hésite, je me rebiffe, je me gratte la tête et le bout du nez et tends ma carte d’accès à bord à la ravissante hôtesse aux yeux verts langoureux. Sans trop réfléchir et sans aucune hésitation, je la regarde dans les yeux, j’éclate de rire et lui déclare tout de go l’ampleur de mon amour. Ma « Boarding Pass » lui tombe des mains, comme une pierre dans un ravin. Elle rit encore plus fort sans se soucier des passagers ni de l’équipage et me dit : «Comme je vous comprends. Je partage votre amour et je vous rends votre carte d’accès à bord. À demain à 7 h 30». Je rêve. Je me pince. Je change d’avis et j’assume. Je viens d’abandonner mon avion pour Helsinki pour 24 heures d’amour au pays de Åland.

Marquée d’une croix blanche, cette prolongation inopinée de mon voyage sera une des plus folles journées de ma vie. Revivre le soleil de minuit sur le port de Mariehamn avec nos nouveaux amis et mon partenaire, mon ami, mon fils Nanou, est un nouvel instant de bonheur volé à la vie !

 

R.T.

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