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CUBA 96,

 

Misère et passions

 

 

 

Par Rached Trimèche

www.cigv.com

 

 

 

La Havane (janvier 1996). Le passage au Groenland n’était pas prévu sur le chemin qui sépare Madrid de la Havane. Tempête oblige, nous voici prolongeant notre vol de quatre longues heures en piquant sur le Groenland pour redescendre tout au long des côtes canadiennes et américaines, évitant ainsi moult orages et tempêtes. Notre DC10 est plein à craquer de touristes et de voyageurs en quête d’insolites découvertes cubaines.

 

L’aéroport de la Havane nous accueille à bras ouverts avec ses beaux palmiers longilignes et ses rouges lauriers en fête. Le hall principal où les files s’organisent face à trois vieux guichets de police est envahi par des voix stridentes semblant venir du ciel et contrastant avec le silence absolu qui pèse sur les visiteurs de Cuba. Est-ce pour rompre la morosité ou le train-train administratif que ce feuilleton de dessins animés est diffusé à tue-tête par deux téléviseurs accrochés au mur à trois mètres du sol ?

Mon visa d’invité du Gouvernement rapidement vérifié et muni de mon seul bagage à main, je me retrouve rapidement et sans autre formalité à la sortie du petit aéroport. Une aimable dame en tenue kaki, courtoise et souriante, me négocie « un billet de taxi » pour 14 $ US seulement au lieu des 16 $ demandés par les taxistes. Nous sommes dans un taxi appartenant à l’Etat qui a toute l’essence dont il a besoin et un chauffeur assermenté et presque téléguidé. Notre guide est peu loquace et se perd à dessein dans des généralités, fuyant toute question propre à n’importe quel détail.

Les 25 km qui nous séparent de la ville sont pleins de découvertes. Nous dépassons allègrement de vieilles motos grises tchèques à trois places. Des semblants de Jeeps, également du début des années cinquante, affrontent la route malgré leur rouille et leur état de désolation. Des petites Lada et des Skoda téméraires et intrépides bravent le chemin et leurs quarante ans.

 

ARRIVÉE

 

Face à mon étonnement devant le gigantesque nombre de vélos que l’on croise, le chauffeur m’explique que lui, par exemple, avec ses 140 pesos ou 10 $ environ de revenu officiel mensuel, retrouvera le soir son propre vieux vélo au garage central des taxis et enfourchera cet engin béni pour ravaler les 16 km qui le séparent de son domicile. Le lendemain, il refera seize autres kilomètres pour revenir au boulot. Et la vie continue en vélo-taxi-vélo.

Mon contact cubain ne s’étant pas manifesté, je n’irai pas au quartier Copacabana en bord de mer où une chambre d’hôtel m’était réservée, mais choisirai plutôt le centre ville pour habiter l’immense Havana Hôtel où la nuit équivaut au salaire de douze mois de travail de notre chauffeur de taxi. C’est un peu l’odeur de Moscou, de Kiev ou de Minsk que je retrouve dans ce hall d’hôtel cubain très peu éclairé, très haut et surtout lugubre.

Ici, « l’arbre de palabre africain » est présent à chaque bout de comptoir d’accueil où il faudra construire une véritable tour de Babel pour pouvoir enregistrer son entrée à l’hôtel. Karl Marx n’est jamais mort. Qui ose dire le contraire ? La chambre d’hôtel garde de par sa superficie le faste des années cinquante et arbore par la rouille qui grignote sa plomberie, par les petits trous qui ornent ses draps et par le jaune qui délave le blanc des rideaux, la misère économique cubaine de 1996.

Miracle. Le téléviseur marche et une très avenante femme de chambre saura rapidement le toucher du bon doigt pour lui donner comme une fée un soupçon de couleur tant convoitée.

Soudain, je suis pris de nausée. Je suis déjà fatigué par cet avion qui piqua sur le Groenland pour aller aux Antilles, de cet aéroport sordide, de ce long chemin vers la Havane, de mes amis absents et de la tristesse que dégage chaque pore de cet hôtel dit de luxe.

Dehors, c’est un autre monde. Ce curieux magasin jouxtant l’hôtel est un peu l’Amérique. Il fait partie des dizaines de « shoppy’s » ou magasins bien achalandés qui rappellent le « Nika » de Kiev où seul le roi dollar a pouvoir et raison.  

En dix minutes à peine, je rejoins l’Hôtel National où je dois retrouver de nouveaux contacts cubains à vingt et une heures. Le déplacement en vaut la peine. Cet hôtel reflète encore le luxe et la richesse de Cuba d’antan. Du jardin à l’entrée en passant par les différents salons, tout respire grandeur et faste comme dans un véritable château. C’est qu’il manque une âme à cet hôtel. Les lumières sont tamisées par économie et les serveurs ont oublié d’accrocher un sourire à leur visage.

Dans un premier salon trône un superbe piano « Mockbo » tout de noir paré et reluisant. Ces statues de bronze de deux mètres de haut qui ornent la salle n’ont du bronze que le nom et du plastique connaissent tout l’art. Le carrelage est indemne, présentant des figurines joviales entrelacées par de petites étoiles dorées et des fleurs de tous genres. La dorure des voûtes et des plafonds n’a rien à envier au luxe du marbre de toutes sortes. Mais de partout, cette âme si attendue est grandement absente.

Au fond du salon, agglutinées autour d’un bar, quatre belles brunes longilignes, souriantes et appétissantes semblent ignorer tout virus HIV et proposent leurs charmes indiscrets pour 100 $ la nuit. La nuit de ces belles ne représente-t-elle pas dix ou vingt mois de salaire moyen ?

Au fond du couloir principal, nous sommes attirés par une superbe plaque de bronze scellée au mur et arborant quatre lettres et cinq chiffres : IATA 18.4.45. C’est ici même, dans cet hôtel, que naquit en avril 1945 la célèbre association d’aviation IATA.

Au sous-sol, un superbe dîner nous est servi à la chandelle. Le poisson savoureux, les salades variées arrosées de bon vin rouge et de défilé de desserts et de fruits tropicaux nous font oublier, pour un instant, la tristesse de Cuba.

 

EN « WA WA »

 

L’immense pénurie est à gérer au quotidien. L’attelage de bœufs et le flot de bicyclettes sont un transport très usité quand on n’a pas la chance d’attraper au vol un « Caméléon ». Ce dernier est un double hybride composé de deux bus jumelés, vieux de cinquante ans, aux couleurs délavées et au tuyau d’échappement généreux et vociférant. Y grimper est tout un voyage et s’y serrer est tout un art. Le tout est de pouvoir encore trouver une place dans « El Cameleon ». Tandis que le « Wa Wa », nommé ainsi de par le son de vieux klaxon, est un bus qui se veut plus chic tout en restant très populaire

A la porte du bus, une jeune dame en tenue bleue délavée vous intimera l’ordre de ne pas monter. Obtempérer en silence, telle est la loi et ne cherchez pas à comprendre au pays des lois de toutes sortes pourquoi il vous est aujourd’hui interdit de trouver une place dans ce « Wa Wa » qui peut pourtant contenir quelques passagers de plus. Capricieux, le « Wa Wa » ne s’arrêtera à votre station que si le chauffeur le juge utile.

C’est en allant à la plage de Copacabana que j’emprunte ce transport en commun dans un bus du début des années quarante et où la gentillesse des passagers vous fait oublier tant de misère. Ma voisine de siège a la même tenue ou presque que tous les passagers du « Wa Wa ». Elle est pourtant avocate à la Cour de la Havane. Trop heureuse de n’avoir attendu qu’une heure devant l’arrêt, elle emprunte ce « Wa Wa » avec stoïcisme. Sans voiture et sans vélo, il ne reste que « le Caméléon » et le « Wa Wa » dispensant de très longues marches.

Une heure plus tard, nous voici installés dans un salon en rotin au deuxième étage d’un rustique immeuble qui fut badigeonné pour la dernière fois il y a dix ou vingt ans. Notre avocate hospitalière nous sert un punch maison et nous présente sa fille Marcia de vingt-cinq ans en blue-jeans délavé et tee-shirt blanc. Après avoir terminé sa médecine, Marcia est en quatrième année de chirurgie, uniquement parce qu’elle espère décrocher un jour un job qui lui fournirait quelques centaines de pesos de plus. Aujourd’hui, comme tous les jeunes de Cuba qui ne s’adonnent ni à la prostitution ni au trafic, elle vit de  « rien » et avec « rien » chez ses parents. Juste quelques pesos pour payer le « Wa Wa » et, de temps à autre, une vieille chemise, faute de chemisier. Le père est pourtant un des 400 dignitaires de Cuba. Que dire des autres ?  

C’est que le quotidien est très dur à vivre en 1996 à Cuba. L’essence est rationnée et elle coûte 65 cents, soit prés des 2/3 d’un $ US alors que le salaire moyen d’un Cubain est de 5 $ US environ. Tout est rationné au point que survivre au quotidien est à conjuguer à tous les temps du subjonctif. Il faudrait savoir utiliser ses cartes de rationnement et différentes « libretas ». Le pain peut être présent à 8 heures du matin et finir subitement à 10 heures pour revenir durant quelques minutes vers 18 heures.

Si le nombre de vélos circulant à la Havane dépasse de loin celui de Rotterdam en Hollande, ce n’est point pour faire du sport sur la petite reine mais pour pouvoir franchir 5 ou 10 km aller-retour de son logis à son point de travail.

Tout comme en Ukraine par exemple où nous étions l’an passé, la vie de tous les jours peut être légèrement fardée et édulcorée. Ici, le génie cubain a pondu un billet de banque semblable au dollar US dans ses dimensions mais, de couleur rose, il arborera le sigle « Peso Convertible » et aura la valeur identique d’un $ US. L’astuce est splendide. Aux détenteurs de ces « semblants de $ » d’avoir la belle vie. Tout un marché est ouvert à ces porteurs de dollars qui n’auront plus rien de commun avec ceux qui vivent de 5 $ par mois. La demoiselle s’offrira pour 100 $ la nuit, le paquet de cigares « Cohiba » vous sera vendu sous la manche à moitié prix avec ces mêmes dollars bien sûr, et le touriste paiera lui en vrais dollars sa chambre d’hôtel entre 50 et 200 $ la nuit, soit près de deux ans de salaire d’un cadre moyen. Vrais et faux dollars font bon ménage et le chocolat suisse tout comme les cigarettes américaines s’offrent à vous comme à un certain bar que je ne peux oublier.

 

LE DAIKIRI

 

Nous sommes au cœur de la Havane, attablés dans un moelleux siège en cuir blanc, à La Floridita. Le sol est de marbre noir, les tables rouges sont à pieds noirs. Le dossier des sièges entourant le bar est un véritable chef-d’œuvre. Trois flèches en cuivre doré croisent trois autres, formant ainsi le dossier du siège blanc.

Le bar des années cinquante est de bois noir, surmonté d’un verre épais qui donne encore plus de relief au bois noble. Même les serveurs, en tenue d’un blanc immaculé, semblent sortir de nos livres d’histoire. Une douce musique fait de ce lieu un havre de paix et un îlot enchanteur. Un « daïkiri » nous est servi avec une montagne de pop-corn dans une belle assiette de porcelaine blanche. La recette est simple. Le maracino est cette liqueur de rhum qui, ajoutée à un jus de citron, du sucre fin et beaucoup de glace pilée, forme ce précieux « daïkiri » qui fait la réputation de La Floridita pour uniquement 6 $ US, soit un mois et une semaine de travail pour d’autres Cubains. Le bar est plein à craquer et les touristes sont rares.

La raison de la renommée de ce bar est aussi délicieuse que le « daïkiri ». Ernest Hemingway, Garry Cooper et Erroll Flynn posent en souriant sur cette grande photo prise en 1958 et accrochée à l’entrée du bar. C’était encore l’époque où la Havane était pour les Américains ce qu’est aujourd’hui Monte Carlo avec son casino pour les Européens. Un lieu de luxe et de luxure où les merveilles de la nature (plages et forêts) tout comme la beauté des édifices sont noyées par la chaleur humaine et la cordialité des Cubains. Cette île était synonyme de très belle vie aux Caraïbes.

Mais qu’est-il donc arrivé à ce pays distant à peine de trente minutes de Miami aux USA, de quelques autres minutes en son sud de Port-au-Prince en Haïti et de Kingston en Jamaïque ? Pourquoi est-ce que l’on parle de dictature et de « Comités de Défense de la Révolution » dans chaque quartier de ce pays où ladite démocratie populaire est peut-être la dernière à survivre sur notre planète ?

Après la destruction du mur de Berlin, même Shqipëria ou la galaxie Albanie a abandonné son manteau communiste pour s’ouvrir au monde du marché. Pourquoi des dizaines de milliers de Cubains ou Balseros ont-ils bravé la mort pour s’entasser sur un radeau de fortune et quitter (aujourd’hui encore) Cuba en espérant la terre promise des USA ? Pourquoi ces jeunes quittent-ils pères, mères et enfants, biens et souvenirs pour espérer, rêver ou croire à une nouvelle vie où l’oxygène serait si abondant ? Pourquoi « la joie de vivre », « l’optimisme » et « l’avenir » sont-ils des mots si rares dans un dictionnaire cubain ?

Tout ceci paraît certes exagéré, mais la réalité est bien amère et le survivre quotidien. Il ne s’agit même pas de dire à qui est la faute mais d’essayer peut-être de comprendre la genèse de cette débâcle économique et de cette asphyxie sociale. Précisons que toute cette ambiance de Cuba 96 est assez récente, car le jour où les USA ont imposé leur embargo meurtrier et asphyxiant, l’URSS s’est dépêchée de cajoler et de secourir son jeune protégé des Caraïbes qui ne manquera ainsi de rien.

Mais c’est la chute du mur de Berlin qui fit éclater l’Empire soviétique, asphyxiant Cuba courageuse et stoïque, désormais sans secours. Remontons le fleuve du temps.

Dés 1898, Cuba acquiert son indépendance de l’Espagne, mais dés 1901, le grand voisin américain impose l’amendement PLATT (abrogé en 1934) qui oblige Cuba à soumettre tout accord diplomatique et militaire à l’autorisation des USA.

 

CHE GUEVARA

 

Dans cet imbroglio antillais, les Américains décrochent en 1903 une concession perpétuelle au sud-est de l’île de Cuba sur une superficie de 100 km² abritant 2 500 soldats américains.

En 1933, le fougueux sergent moustachu Fulgancio Batista fait un coup d’Etat militaire qui le parachute au sommet de l’état-major cubain qui en fera un Président élu en 1940. Coups d’Etats et manœuvres se succèdent jusqu’à juin 1953 où un jeune avocat barbu, fin disert et habile politicien, attaque la caserne Moncada à la tête d’un groupe révolutionnaire. Fidel Castro sera emprisonné et, quatre ans plus tard, Batista réélu Président. Deux ans plus tard, le célèbre médecin argentin Ernesto Guevara alias « Che » est en compagnie de l’évadé Castro à bord d’un navire, « Granma », pour aller se réfugier dans la Sierra Maestra. Deux hommes soudent une amitié et un courage guerrier avec un troisième appelé Frank Pais dont le nom est aujourd’hui porté par un des plus célèbres hôpitaux de Cuba.

En 1958, l’opinion publique américaine est favorable à Castro. Che et Castro partent en guerre et gagnent les combats jusqu’à la fuite du dictateur Batista vers la voisine République Dominicaine. La Havane est en fête. 485 partisans de Batista sont exécutés et 1 000 prisonniers politiques libérés et finalement, Fidel Castro accède à la Présidence de la République.

Le jeune Président qui vient de nouer de juteux accords commerciaux avec l’URSS ne comprend pas le refus de trois compagnies pétrolières américaines Standard Oil, Texaco et Shell de raffiner à Cuba le pétrole de l’URSS. Un an plus tard, en 1961, les relations diplomatiques sont rompues avec les USA. Le 19 avril de cette même année signe l’échec du débarquement à Cuba de 1 500 anti-castristes armés par les USA à la Playa Girone ou la Baie des Cochons. 114 morts à l’ardoise du jour.

Un an plus tard, en 1962, le Parti de la Révolution est roi et les USA annulent leurs importations de sucre, principale ressource cubaine. Le bouillonnant Khrouchtchev, maître de l’Empire Soviétique, décide d’installer des missiles nucléaires sur le sol cubain tout en cachant le fond de sa pensée qui est de chasser les garnisons occidentales de Berlin-Ouest qui sera transformé en « ville libre ». Une trentaine d’ogives nucléaires sont déjà installées sur l’île au nez du voisin américain et 36 autres voguent sur un navire maquillé, vers Cuba. 42 000 soldats soviétiques installés à Cuba attendent ce navire. Le navire est en marche, les soldats sont armés et les ogives pointées. Il faut lancer une attaque nucléaire sur les USA. Une guerre nucléaire va-t-elle éclater à la Baie des Cochons ? Les téléphones rouges de Kennedy et de Khrouchtchev surchauffent. Kennedy accepte de ne pas envahir Cuba si le navire fait demi-tour et ses fusées « déshabillées » en haute mer.

A Cuba, c’est le début d’une ère de troubles qui pousse Guevara à rejoindre les Guerilloros boliviens et se faire hélas tuer en 1967.

Dans les années soixante-dix, Castro exporte la révolution cubaine vers un tiers-mondisme actif et vient au secours de nombreux frères et amis à travers la planète.

En 1977, cinq mille Cubains sont envoyés en Ethiopie contre la Somalie comme d’autres et le furent en Algérie ou en Angola par exemple. Le leader maximo jette du lest en 1979 et accueille 100 000 exilés Gusanos (verre de terre) qui retrouvent leur terre natale. Les frontières commencent à s’ouvrir et déjà plus de 100 000 Cubains quittent leur île pour s’installer en Floride, au Pérou ou au Costa Rica. Le poète Armando Valladeras est libéré tout comme Vargas Gomez, après vingt ans de prison.

En 1971, instauration d’une loi « anti-paresse » qui punit de deux ans de travaux forcés tout inactif. Plus tard, deux lois sociales viennent alléger la vie de tous les jours. En 1985, une première loi autorise chaque citoyen à devenir propriétaire de son logement locatif, puis en 1993, une autre loi légalise la possession des dollars et, bien sûr, celle des pesos convertibles dont on a parlé au début du reportage.

En 1990, le ciel des Caraïbes est bas, les cyclones plus présents et la tristesse encore plus lugubre étouffent Cuba qui arrête son aide au bouillonnant voisin, le Nicaragua. La ration de pain journalière est réduite de 100 à 80 grammes. Les ambassades commencent à ouvrir leurs portes aux réfugiés avec par exemple 18 dans celle d’Espagne, 9 dans celle de Belgique et 3 dans celle de Suisse. Rusé et bon guerrier, Castro décide d’autoriser les citoyens cubains à aller s’installer aux USA ou en Europe sans problème aucun, s’ils obtiennent des visas d’entrée.

Le Parti communiste continue à réélire Castro à la tête de l’Etat, tout en refusant tout multipartisme qui serait égal à une « multi-cochonnerie » selon Castro.

En 1992, Juanita, la sœur de Castro, demande sa démission et voilà, en réponse, son fils qui détourna 5 millions de dollars pris dans le collimateur communiste, et le dernier jour de l’année 1993, la petite fille de Castro, Alina Fernandez, rejoint sa mère en exil aux USA.

Un an plus tard, le géant américain limite l’immigration cubaine. Les « boat people » n’auront pas tous un sauf-conduit américain et la base navale américaine de Guantanamo est pleine à craquer. Parler de mouvements d’opposition tels que « Alpha 66 », « Convergence Démocratique Cubaine », « Coalition Démocratique Cubaine » ou autres factions ne sert absolument à rien et ne sera fondé sur aucune exactitude car la loi de dangerosité est toujours de rigueur en terre cubaine : « est puni de prison tout suspect avant même tout délit ». Amnesty International inventorie 22 prisons d’Etat et 54 camps de prisonniers politiques. Ces chiffres basculent d’une bouche à l’autre mais gardent toujours d’horribles décimales.

 

EMBARGO ET BLOCUS

 

L’attaque par l’armée cubaine de deux petits avions civils américains en février 1996 et la mort de leurs pilotes relancent à nouveau la rigidité de l’embargo américain sur Cuba. Imaginez Monaco sous embargo français et vous comprendrez l’asphyxie de 11 millions de Cubains. Les chefs d’Etat américains se suivent et se ressemblent hélas sur ce point précis. Ils n’ont cure du drame quotidien des 11 millions de Cubains et demandent toujours le passage de la politique dirigée à celle du marché avec, bien sûr, un changement de toute l’ossature politique. Les Américains refusent en outre de payer les 2 000 $ or dus par an en contrepartie de leur présence à Guantanamo en terre cubaine. La quadrature du cercle est parfaite, Castro qui « vendait » sa révolution à l’Amérique latine et à l’Afrique vend aujourd’hui sa technologie et n’a cure des « Gringos » ou voisins américains.

Acculé à se démettre et sans secours efficace et réel de la part de la Russie, il ne peut qu’aller plus en avant et trouver toutes sortes de solutions pour améliorer le sort des 11 millions de Cubains.

La loi Torricelli renforce l’embargo américain en empêchant tout autre pays de commencer avec Cuba sous peine de graves sanctions américaines. Ce blocus empêche l’importance de l’énergie d’abord (pétrole), mais aussi de médicaments et d’aliments pour enfants. En poussant l’embargo à ce seuil et croyant déstabiliser le pouvoir, les USA risquent d’obtenir le résultat inverse.

Le Président Nelson Mandela d’Afrique du Sud ne vient-il pas d’accueillir avec soulagement 300 médecins cubains qui acceptent eux de servir hors des grandes villes sud-africaines ? 2 000 médecins sont encore attendus.

Trois grandes fenêtres éclairent l’île de Cuba. La première est celle des cigares que nous visiterons tantôt. La seconde est la médecine de pointe et la troisième est celle du tourisme.

A l’hôpital Frank Pais, le professeur A. Cambra, président de l’Association d’Amitié Arabo-Cubaine, est un des plus célèbres chirurgiens orthopédistes de notre époque. Dans cet hôpital, on reçoit les malades de tous les pays voisins et lointains. La belle infrastructure hospitalière n’a rien de commun avec l’île. Dans un autre hôpital, on essaiera de vous soigner le vitiligo ou disfonctionnement de vos mélanocytes ou cellules colorantes de votre épiderme. La renommée est si grande qu’une Cigéviste de l’Ile de La Réunion est partie il y a dix ans à Cuba pour soigner son vitiligo. Des milliers de touristes viennent à Cuba rien que pour cela. La guérison serait certes un autre chapitre à narrer.

Dans le domaine de l’immunologie, Cuba est également en tête. Actuellement, plus d’un pays dont la Tunisie achète son vaccin contre la mortelle hépatite B à Cuba au tiers du prix du même vaccin fabriqué à Bâle, à Paris ou à New York par exemple. Cuba se veut également à la pointe de la recherche contre le sida et affiche avec célérité et fierté ses centres d’hébergement pour sidéens.

Les soins sont gratuits pour tout résident à Cuba. Le touriste ne devra payer que le prix des médicaments, souvent introuvables. Plus d’un charter vient d’Europe déversant des malades en quête des greffes (brûlés de Tchernobyl et autres) ou d’un flacon de mélagéline pour leur vitiligo.

La troisième fenêtre est celle du tourisme qui démarre sur les chapeaux de roue avec plus d’un million d’entrées en 1995 y compris les croisières. 10% du PNB sont ainsi épongés par cette manne nourricière. Cuba devient même une destination « up to day » et recherchée. Avoir la « chance » de découvrir en 1996 un parc automobile des années cinquante encore en marche dans un pays-carte postale figé à la même année est aussi attirant que la très belle architecture des somptueux monuments de la Havane.

Finalement, nous sommes dans une belle impasse. Que faire pour améliorer le quotidien ? Accepter le droit du Prince ou démettre les Rois.

L’embargo imposé par les USA sur Cuba pourrait dans un certain sens être comparé à celui imposé sur l’Irak, où le chef de l’Etat acquiert de la sorte un plus grand plébiscite auprès de ses concitoyens. Fidel Castro n’a pas hésité à brandir ce statut de victime entourée de son peuple.

Le Congrès américain finance pour 7,5 millions de dollars une station de télévision appelée « T.V Marti ». L’émetteur insolite est suspendu à un ballon à 3 000 mètres d’altitude sur l’île de Cudjoe Cay. Cette station continue en 1996 toujours à être le porte-parole des anti-castristes.

 

OUVERTURE

 

Dans ce même ordre d’idées, les « Frères du Secours » dits « Hermanos al Rescate » s’organisent en associations d’exilés en 1991 pour venir au secours des « balseros » ou « boat people », ces fuyards de Cuba sur un pneu flottant ou dans une embarcation de fortune. José Basulto, un jeune quinquagénaire vétéran de l’invasion ratée de la Baie des Cochons, est le fondateur de cette association.

Cette association basée à Miami a déjà sauvé près de 2 000 « balseros », ces candidats à la liberté. José Basulta est un homme affligé et non abattu ce 24 février 1996 en apprenant la destruction de deux de ses avions Cesna par les forces cubaines. Il ne cesse de marteler que si son objectif premier est de sauver des vies humaines, que c’est à lui, exilé de la première heure, de montrer aux frères désespérés de Cuba qu’ils ne sont pas oubliés.

Cette association, qui compte une trentaine de pilotes bénévoles et une quinzaine d’appareils, est financée par des dons de la diaspora cubaine à Miami à hauteur de 6 millions de dollars. Depuis 1994, ils effectuent des vols de recherche quatre jours par semaine pour secourir les intrépides balseros qui mettent le cap sur la Floride et qui n’ont en tête que cette phrase : « Viva la libertad ! ».

Dans un pays peuplé de 66 % de Blancs, de 22 % de Métis et de 12 % de Noirs, les athées représentent 55 % de la population, avec en outre 40 % de catholiques et 3 % de protestants. Tout ceci forme bien une république socialiste à structure étatique unitaire. Karl Marx est encore vivant en 1996 et ces exemples totalitaires ne font que le confirmer.

Le 13 juillet 1989, le Général Arnold Ochoa est exécuté pour trafic de drogue. C’est l’époque d’une purge puriste voulue par le Gouvernement. Deux ans plus tard, le quatrième congrès du Parti Communiste Cubain justifie le maintien d’une stricte orthodoxie marxiste dans l’île. Les évènements se bousculent. Au début de 1992, Edwardo Diaz Betancourt est exécuté pour avoir voulu s’infiltrer dans l’île à la tête d’un commando armé de trois exilé cubains. Finalement, en début 1993, une éclaircie sur le ciel de Cuba fait adopter par le Parlement une réforme constitutionnelle engageant une élection des députés ay suffrage universel direct, garantissant les investissements étrangers et autorisant même la vente de terres de personne à personne. Et c’est ainsi que le 23 février 1993, pour la première fois depuis 1959, les Cubains élisent à bulletin secret les membres d’une nouvelle Assemblée Nationale du peuple, certes sur la seule liste du Parti Communiste. Derechef, cette assemblée réélit Fidel Castro à la tête de l’Etat.

Cuba sort peu à peu de son encerclement politique et les déplacements de Fidel Castro en Occident sont hyper-médiatisés. A Madrid, en juillet 1992, Castro est ainsi la vedette du deuxième sommet ibéro-américain. L’île reçoit les visites successives du ministre iranien des Affaires étrangères, garantissant en outre la fourniture de pétrole et le doublement d’achat de sucre. La Corée du Sud achète pour la première fois le sucre cubain. Le Président chinois Jiang Zemin visite l’île et même le Canada décide en 1994 d’accorder une aide financière à Cuba. L’île continue en outre à aider plus d’un pays du tiers-monde par l’envoi de contingents de médecins spécialistes.

 

CIGARES DE CUBA

 

Cuba produit 300 millions de cigares par an par Cubatabaco, Régie nationale exclusive. Feu Zino Davidoff, l’Ukrainien devenu Suisse, signa son premier contrat avec Cuba en 1959 et le rompit en 1990. Notre ami cigéviste commercialise, dès 1978, des havanes sous son propre nom et lance ainsi la chaîne des « Châteaux ». Zino Davidoff s’est fait l’ambassadeur de la qualité de tabac pour cigares cubains en le portant au zénith. En 1989, Zino se fâche avec Cuba, lâche ses plantations de tabac et s’installe en voisine République Dominicaine. Les nouvelles plantations de cette île sont peut-être plus productives mais ne donnent pas, selon les fins connaisseurs, ce charme discret de l’arôme du cigare cubain.

Le cigare « Cohiba » (la Roll’s des cigares) naît en 1968. Ce nom signifie simplement tabac en colombien. La préparation en est délicate, les tabacs du « Cohiba » proviennent de la région de Vuelta Abajo. Les feuilles du corps et de la sous-cape du cigare proviennent d’une même récolte car dans un bon tabac, seule la cape peut être d’origine différente et c’est uniquement la troisième fermentation qui lui ôte le néfaste ammoniac.

La première usine de cigares que nous visitons est un véritable joyau suisse. Le patron nous reçoit dans une salle de vente transformée en écrin d’acajou. La misère coutumière de la Havane semble se volatiliser pour faire place à un luxe douillet et raffiné. Aujourd’hui, l’usine de quatre étages est fermée et l’on s’occupe dans cette salle de vente à changer les étiquettes de prix des cigares qui augmentent de 20 cents américains chacun.

Nous voici en plein centre ville de la Havane, pris dans une file de 15 touristes curieux qui acceptent en silence le protocole d’une file indienne dans une autre fabrique de cigares. C’est en silence que nous empruntons religieusement un monte-charge du siècle passé qui arrive par miracle à grimper jusqu’au premier étage sans incident aucun.

La surprise est de taille et l’impression de notre visite vire du rêve au cauchemar.

Imaginez une usine de fabrication de cigares sur quatre étages employant 500 ouvriers dont 70 % sont des femmes et dont le salaire mensuel varie de 148 à 217 pesos, soient 15 US$ au maximum pour 30 jours de travail à raison de 48 heures par semaine.

On fabrique ici trois catégories de cigares avec 40 variétés et leur prix varie d’un seul dollar US à 150US$ la pièce avec un « Cohiba » qui reste toujours seigneur et maître. Trois catégories de tabac fournissent certes les trois catégories de cigares avec un arôme et une combustion qui diffèrent d’une qualité à l’autre.

Sur une table rappelant les pupitres de classe du début du siècle, cette demoiselle étale rapidement une feuille de tabac qu’elle remplit de lamelles de feuilles qui composeront ainsi le corps du cigare. Une colle végétale neutre fermera le bout du cigare et donnera tord à la légende touristique qui disait que les beaux cigares cubains étaient roulés sur les cuisses de Cubaines et collés par ce que vous savez.

 

LE LECTOR

 

Sur une autre table, une lame d’Indien de 15 cm de long et 5 cm de large en forme de lune sert à couper les bouts de cigares. Sur une autre table, on prépare les feuilles en rouleaux pour la confection des cigares. A chaque pupitre, l’art de ces Cubaines si concentrées et si sérieuses nous comble d’admiration.

Soudain, une voix. Une voix que l’on entendait dès le début mais sans lui accorder beaucoup d’importance et qui, pourtant, à elle seule vaut le voyage à Cuba. Imaginez au quatrième étage de cette fabrique de cigares 200 jeunes filles, véritables fourmis bronzées, travaillant sans fausse note, sans bavure et surtout sans faute, tenues en haleine par une voix. Une voix qui les pénètre, qui les hante, qui les caresse et qui, surtout, les occupe. Cette voix va plus loin encore, elle diffuse le message du leader maximo, celle du Président Fidel Castro.

Soudain, la voix devient plus physique, plus réelle et moins radio. Elle est à bout de bras. Oui, la surprise est si banale qu’elle devient phénoménale. C’est que cette voix prend forme et corps. Elle est celle d’un beau jeune homme de vingt-deux ans (lector) au torse nu, qui distille, face à un microphone, la lecture entière et complète d’un quotidien de 22 pages. Assis face à un bureau surélevé de 50 cm, tel un maître de conférence, notre préposé au micro serait adepte du rendement et de la rentabilité prêchés par les grands penseurs économistes tels que Taylor.

Notre visite prend fin dans une immense salle de 100 m de long où son entreposés des centaines de paquets de cigares liés par une vulgaire ficelle. Sur un premier établi, un curieux cerbère est maître et seigneur. Notre cerbère est un objet de 30 cm de long, 20 cm de haut et 5 cm de large. Sa face est criblée de cinq trous différents. Nous sommes face à la sentence suprême, cet outil qui délimite le calibrage du cigare.

Ici, les cigares « Cohiba » vont de la plus haute qualité dite « Esplandidas », qui est vendue en usine à 300 US$ la petite boîte, aux « Cohiba Sigloi », « Montecristo », « Bolivar » et « Partagas ». Notons que les quatre cigares les plus prisés et les plus chers du monde ne sont pas étrangers à Cuba : le « Deadema de punch », le « Cohiba Esplandido », le « Churchill de Roméo et Juliette » et enfin le « Davidoff n°2 » qui coûte en moyenne et par unité plus cher qu’un dîner dans un restaurant zurichois.

Un cigare qui craque quand on appuie dessus a été conservé dans un endroit trop sec et un cigare qui est fumé aux trois-quarts augmente sa teneur en goudron et développe des arômes désagréables.

Le nom cigare vient de cigarro provenant lui-même de l’espagnol cigarral qui signifie petit verger où l’on cultive son propre tabac. Ce sont les Pays-Bas qui ont importé en Europe la cigarette, cette invention indienne, à la fin du XVIIIe siècle.

Selon qu’il soit séché à l’air chaud (flue-cured), au soleil (sun-cured), au feu (fire-cured) =ou simplement à l’air (dark-cured), le cigare change d’arôme, de bouquet et certes de goût).

Mais je ne peux oublier le cancer attaché au bout de ce cigare que le consommateur inconscient avale avec joie et sans regret. Ce n’est certes pas ce bon tabac qui tue, mais c’est la combustion et tous les goudrons dégagés qui sont les véritables tueurs. Ce n’est pas la nicotine qui est cancérigène mais ce sont le phénol, le benzopyrène, le chrysène, les aldéïdes, les nitrosamines, l’acétone, l’arsenic et tous genres d’hydrocarbures dégageant différents gaz qui sont les vrais responsables du cancer. Le drame est que la combustion d’une cigarette dégage près de 90 composants et l’aérosol formé par la fumée de cette même cigarette développe plus d’un millier de composants.

Quand on pense que la seule marque « Marlboro » vend près de 300 milliards de cigarettes par an, soit soixante fois plus que la population mondiale, et que la maison Philippe Morris se taille 44 % du juteux marché des tabacs américains, avec un chiffre d’affaires de plus de 60 milliards de dollars, on attrape le vertige.

 

ECONOMIE

 

Avec un PNB (Produit National Brut) de 600 US$ par tête et par an, Cuba est classée 184e sur 232 pays et affiche ainsi un revenu égal à celui de l’Angola ou du Sénégal, soit le tiers de celui de la Tunisie par exemple.

A Cuba, 80 % des terres appartiennent à l’Etat et le reste est géré en coopératives. L’agriculture sombre ainsi dans le sous-développement avec une canne à sucre qui est, certes, la première culture du pays, couvrant 1 150 000 hectares, soit le tiers des terres arables. La chute de production des trois dernières années ramène Cuba au deuxième rang mondial des producteurs de sucre par habitant. Il faut encore 9 kg de canne à sucre pour produire un seul kilo de sucre qui, hélas, n’est plus acheté par l’ancien Empire Soviétique à six fois le cours mondial. Cette astuce permettait de soutenir le bastion marxiste cubain à bout de bras et bien dans les bras. Le riz, la patate douce et le tabac sont les autres principales ressources agricoles de Cuba.

La pêche, la forêt et l’élevage complètent ce paysage agricole de l’île.

Cuba est en outre le sixième producteur mondial de nickel avec 30 000 tonnes par an, mais les usines sont à moitié fermées. Le drame est du côté pétrolier où Cuba ne produit qu’un million de tonnes, soit le onzième de ses besoins. Il faudra combler ce manque avec des devises très recherchées. Seules les secteurs manufacturiers et pharmaceutiques sont aujourd’hui performants à Cuba.

Pour oublier le vertige des statistiques négatives, Cuba invente le « PSG » ou « Produit Social Global », soit un agrégat de chiffres d’affaires additionnés et non de valeur ajoutée pour éviter d’afficher les statistiques d’un pays très pauvre.

En 1996, l’arrivée prévue de plus d’un million de touristes est la réelle bouffée d’oxygène attendue.

Où se situe donc ce curieux pays et qui est-il ?

L’île ressemble à un crocodile vert se prélassant au soleil des Tropiques avec 1 200 km de long et une largeur qui varie entre 27 et 200 km, au carrefour des deux Amériques, à 80 km à peine à l’ouest de Haïti, à 200 km au sud du Yucatan mexicain et à 180 km du sud des Etats-Unis.

Près de 11 400 000 Cubains vivent sur une grande île de 110 922 km2, soit trois fois la superficie de la Suisse. Cette île montagneuse est non seulement la plus grande des Caraïbes mais aussi la seule qui compte un seul habitant sur quatre de race noire. Son indice de fécondité de 1,8 est le plus faible de toute l’Amérique latine. Faire des enfants à Cuba est aujourd’hui un luxe ou un aveuglement qui n’est plus du tout de mise.

 

CUBA SI, CUBA NO

 

En 1942, notre ami cigéviste posthume Christophe Colomb découvre l’île de Cuba. Les

Anglais et les Espagnols se disputeront l’île des siècles durant. San Cristobal était la capitale de Cuba et la Mer des Caraïbes berçait son île la plus enviée.

Christophe Colomb tomba amoureux de cette île en disant : « Voici le plus beau pays que mes yeux aient jamais contemplé », face à 8 000 espèces de végétaux dont le palmier royal reste le maître. La végétation varie du cèdre à l’hibiscus, en passant par l’acajou, le hacha au bois imputrescible, le kiebra, le graïac au bois aussi dur que le fer, le kapokier, le cocotier nourricier, l’ananas, le cacaotier calorifique, l’avocatier si prisé  et les mille et une fougères arborescentes. Dans ce pays tout pousse, le soleil, la pluie et le terreau font bon ménage, mais c’est la canne à sucre qui reste, avec le tabac, la plante la plus connue de Cuba.

A 85 km de Santiago de Cuba, la base américaine de Guantanamo se dresse au nez des Cubains. C’est ici que le chansonnier cubain composa la célèbre chanson Guantanamera qui fit le tour du monde et qui est encore chantée dans plus d’un Club Med.

 

 

 

 

EN VILLE

 

Ce matin, il fait froid. Très froid. Nous longeons une très large avenue en bord de mer. La désolation est grande, avec un vent violent, une absence totale de belles voitures et une multitude d’immeubles délavés, ébranlés et souvent rafistolés à bouts de planches et e cordages.

Dans le hall de ce premier immeuble, une jeune dame blonde, qui aurait tout de Miss Univers, se tient debout, immobile, face à un petit étal carré de 50 cm de côté. Emmitouflée dans une veste verte de pseudo-fourrure, elle essaie de réchauffer ses fines mains en les frottant l’une contre l’autre. Intrigués, nous nous approchons de cette statue humaine. Carmen arrondit ses fins de mois de jeune maman en vendant au pas de la porte de son immeuble des petits gâteaux à la noix de coco et de suaves croquettes de pomme de terre qu’elle prépare au petit matin. Le tout est arrosé de café chaud et ne vous coûtera que 8 pesos, soit près de la moitié d’un seul et unique dollar US. Quant aux beaux cigares qu’elle vend, ils ne coûtent qu’un seul pesos l’unité et sont fabriqués dans des taudis isolés et miséreux.

Plus loin, nous pénétrons dans un véritable dédale de couloirs bruyants qui nous mènent dans une très vaste salle où un pèse-personne gris trône au beau milieu, à côté d’un pupitre blanc. Au fond sont assises sagement une dizaine de dames. Il n’est que 10 heures du matin et le médecin de service dans ce dispensaire public n’est pas encore arrivé. Plus loin, notre avenu s’achève par un pont routier vers la gauche et deux nouvelles avenues vers la droite. Nous arrivons aux portes du centre ville et toutes ces largeurs de rues ne sont que les réminiscences de l’âge d’or de la Havane. Les simples surprises se suivent et ne se ressemblent pas.

Moustachu, très brun, taciturne et habile, ce quinquagénaire a pignon sur rue face à une petite table de 80 cm sur 40 cm. Une jeune dame élégante au port altier ouvre son vieux sac très bien conservé et sort calmement un briquet en plastique rouge que l’on achète dans n’importe quel débit tabac en Europe à 5 francs français. Le monsieur s’empresse de caler le briquet tête en bas en y incrustant rapidement une belle aiguille intraveineuse. Son édifice ajusté, il s’empare d’une bombe d’insecticide verte au bout curieusement bricolé. Cette bombe d’insecticide devient ainsi une bombe à propane avec un embout nourricier attendu par l’aiguille intraveineuse. La récompense est rapide et les 2 pesos passent de la dame au monsieur. Le briquet marchera un mois de plus.

Au hasard de nos rencontres, nous sommes invités à prendre un café chez Glarita au premier étage privé d’un restaurant. Encore une fois, la machine du temps semble s’être arrêtée, chez la secrétaire d’une association d’Amitié.

Glarita est un cerveau équipé de dix doigts experts. Avec fierté, elle nous présente sa micro-imprimerie. Elle grave soigneusement sur du métal doré les noms et adresses de ses membres. Cette machine du début du siècle est tout aussi performante que cette vielle machine à écrire noire Olivetti des années vingt qui trône sur un immense bureau noir. La règle à tracer, la gomme, le crayon à mine et même les stylos semblent rescapés du temps de la guerre. Le miracle et le sérieux des Cubains font sortir de cette pièce un impeccable travail de haut secrétariat.

Plus loin encore, c’est le centre d’Information Touristique qui nous accueille à bras ouverts. Nos bribes d’espagnol sont appréciées et un café chaud nous est rapidement servi. Ces dames sont si aimables et si avenantes que l’une d’elles, Rumy, se propose de venir nous guider à travers la cité. La matinée s’achève avec ces phrases qui reviennent : « le Cubain a besoin de tout et il ne peut presque rien, sauf rire. La survie est un drame conjugué au quotidien ». Quand j’y repense, je comprends notre ami architecte qui nous disait le premier soir : « Je me drogue à l’aspirine et au méprobamate pour combattre mon hypertension due au dramatique quotidien. Me falta tel aero, c’est l’oxygène qui me manque, je n’en peux plus j’étouffe, le futur n’existe pas ». Et je comprends nos jeunes amis balseros qui quittent le pays sur un radeau de fortune.

 

VIVA CUBA

 

Lors de cette longue promenade vers le Prado, à chaque carrefour, de gigantesques panneaux louent la patrie et Castro :

“Vivo en un pais libro !” 

“Me dedo a Cuba !”

“Per vida con Fidel !”

Et aux photos du leader maximo et souvent de son ami Che Guevara de meubler tel ou tel pan de mur.

C’est déjà l’heure du retour. Nous sommes à l’aéroport de la Havane devisant avec un aimable officier de police. Notre avion pour Madrid n’est pas encore arrivé et notre attente devient une partie de plaisir en compagnie du personnel si convivial de cet aéroport.

On s’attache rapidement au peuple cubain, à son courage, à sa grandeur d’âme et à sa bonté. Demain il fera jour. La parenthèse de ces années difficiles ne sera plus, j’espère, qu’un sombre souvenir, et Cuba ne pourra que vaincre l’embargo, surmonter ses problèmes et accueillir l’an 2000 avec optimisme et courage.

 

Rached Trimèche

(11/01/96)

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