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                                                                                                                          ST KITTS AND NEVIS

 

 

 

                             Par Rached Trimèche

www.cigv.com

 

 

 

Basse-Terre. (Août 89). Après le nœud gordien d'Antigua, nous voici maintenant à l'île St Christopher devenue St Kitts and Nevis. C'est un baraquement sur pilotis faisant office d'aérogare appelé "Golden Rock" à Basse-Terre, capitale de St Kitts, qui nous accueille. Les vingt passagers de notre avion passent facilement les formalités douanières et policières. En queue de file, nous sommes subitement arrêtés par ce douanier, qui nous bloque le passage pour nous demander d'abord...des adresses de correspondantes européennes...

 

Les formalités font rapidement place à la guitare de ce svelte et noir douanier et à la radiocassette d'un nonchalant policier au képi incliné. L'aéroport étant vide, la fête se prolonge avec le troisième douanier à l'ongle de l'index, long de quatre centimètres, pareil à une griffe de rapace, qui se fait le boute-en-train de la situation.

A la sortie de l'aéroport, sept téléphones rouges nous attendent. Reliés chacun à un hôtel, ils nous informent rapidement sur les prix et une vacance possible. Notre futé chauffeur de taxi, veut bien nous conduire au Fregate-Bay-Beach Hotel, mais nous propose un arrêt au Fort Thomas Hotel, un peu plus loin sur notre chemin.

Sur notre route, des champs de canne à sucre s'étalent à perte de vue. Notre verte Toyota avalant collines et ravins arrive devant une vieille distillerie de canne à sucre. Ces tourelles grises sont les seuls vestiges du passé économique de St Kitts. Les cocotiers, les grands jaccas et les manguiers nous escortent jusqu'à l'hôtel Fort Thomas. Dans cette baie du bout du monde avec une colline en bord de mer et une piscine isolée, cet hôtel devrait plutôt attirer des pensionnaires du troisième âge ou de tout jeunes tourtereaux.

Le chauffeur de taxi, s'attendant certes à la chose, nous emmène derechef au second hôtel prévu, pour nous demander bien sûr le prix d'une double course.

 

Où sommes-nous donc dans cette île du bout du monde?

"LIAMUI-A" ou l'île fertile, fut découverte par Christophe Colomb lors de son second voyage en 1493. Puis c'est au tour du Patron des navigateurs, St Christophe, de donner son nom à cette île au 15e siècle. Anglais et Français, comme de partout dans cette région, se battent longtemps pour la possession de l'île, s'opposant toujours aux Caraïbes aborigènes. Sous Richelieu, se crée la Compagnie St Christophe qui partage, avec les Anglais , l'île en deux pour exploiter un tabac de qualité.

Les Français et les Anglais continuent à se tirer dessus deux siècles durant. St Christophe passe sous la coupe britannique par le traité d'Utrecht et évite ainsi d'être inféodée à l'ordre de Malte. Rebaptisée St Kitts, cet Etat devient indépendant en 1983.

Située au nord-ouest d'Antigua, entre Saba au nord et Nevis au sud, St Kitts étale 169 km2 (à peine la moitié de la surface du Lac Léman) de terres volcaniques avec une population de 45 OOO habitants. Cette île en forme de cuisse de poulet a un relief en auréoles concentriques, autour d'un vieux volcan (Mount Misery) de 1156 mètres d'altitude.

 

BASSETERRE

Riche de 18 000 habitants à peine, la capitale de St Kitts garde un cachet très britannique, malgré un nom français.

Plusieurs bâtiments coloniaux de style géorgien, tel que l'ancien Palais de Justice, et de belles maisons créoles, s'étalent au long des rues se recoupant en angle droit.

Au centre de la ville, je me crois à Mahé, la grande île des Seychelles. Ici, Victoria Square fait place à Circus Square et garde la même horloge très british dite ici" régulatrice"; c'est un peu le "Manekenpisse"de Bruxelles, une horloge argentée de trois mètres de haut et qui ne marche pas. Ce square bordé de palmiers altiers et touffus est envoûté par un calme impressionnant. Une église catholique et la trésorerie nationale se font face des deux côtés du square à l'horloge. Sont-ils des rescapés de l'incendie de 1867?

Nous visitons maintenant la mairie de St Kitts. John, notre jeune accompagnateur, s'arrête devant le portrait mural du Premier Ministre, accroché sous le drapeau divisé en trois plages, verte, noire et rouge, et découpé au centre par deux bandes jaunes obliques, encadrant deux étoiles blanches : une pour St Kitts et l'autre pour Nevis.

Avec fierté, John souligne cette fédération insulaire et nous parle avec émotion de l'homme providence du pays. Le Docteur Kennedy A. Simmonds, Premier Ministre de St Kitts qui assiste ou dirige son pays avec le Gouverneur, Sir Clément A. Arrindel, représentant de sa très gracieuse Majesté la Reine d'Angleterre.

La nuit tombe peu à peu et ce restaurant au balcon créole nous tente terriblement. Un jeune serveur noir escorté de trois serveuses en tutu bleu nous installe confortablement à une table de cette terrasse. Une bougie est vite allumée, un rhum maison aussi vite servi et le menu présenté. Tout en savourant notre délicieux poisson et ce riz à la créole, nous entrons en conversation avec la grande table voisine. Quatre jeunes couples australiens changent d'île et retiennent à peine leur extase devant ce minuscule pays qui croule sous la torpeur, le parfum des fleurs, et la gentillesse de ses habitants.

 

Ce matin, nous quittons à pied notre hôtel pour vagabonder à travers ces rues qui montent. Nous sommes dans un quartier résidentiel. Ces villas mirifiques, masquées par des cocotiers, fougères et bougainvilliers semblent toutes fermées, et ne laissent entrevoir que la profondeur de leur jardin et les vertes ou rouges tuiles de leur toit. Il est vrai que plusieurs Européens en quête de placements rentables achètent une villa à St Kitts en attendant sagement la plus-value.

Plus loin le paysage change avec cette villa à l'angle de deux rues. Ce décombre à ciel ouvert et aux portes envolées fait place à une sauvage et luxuriante végétation qui pousse sur chaque centimètre carré et s'incruste même entre deux pierres d'un pan de mur. Le spectacle est morne et fantastique à la fois. Cette maison sans âme est pourtant pleine de vie. Soudain une voix nous tire de notre torpeur. Un vieux monsieur édenté, au teint hâlé et aux cheveux frisés et grisonnants, nous apostrophe en français. Sa génération n'a point perdu la langue de Voltaire, et le voilà parti dans une belle tirade sur son passé, avalant de temps à autre, une gorgée de pur rhum blanc.

Plus loin encore, nous voici arrivés dans une rue à forte pente bordée de deux caniveaux. Tout comme Port-au-Prince en Haïti, Cayenne en Guyane Française ou Roseau à la Dominique, ici l'absence d'égouts fait place à ces dangereux caniveaux à ciel ouvert. Mais ici, le génie de St Kitts va plus loin. Imaginez cette rue descendant sur plus d'un kilomètre, qui s'achève au port, avec juste en son centre une rigole de cinq centimètres de large et trois centimètres de profondeur. Toute ménagère et tout tenant de négoce, alimentera cette rigole à longueur de journée, ce qui à l'arrivée donnera un petit torrent à odeur particulière.

Dans ce quartier où les villas cossues font place à des cabanes mi-bois mi-ciment, c'est le royaume des enfants. De partout de jeunes Noirs tapent dans un ballon dégonflé, s'attrapent en courant ou se lancent des cailloux en pointant le nez, mais toujours avec un si beau rire, fruit d'une véritable joie de vivre.

 

ECONOMIE

Ce midi, le soleil est de plomb et les rues désertes. Soudain, un double mirage en bout de rue ! Le silence est interrompu par une belle et haute musique reggae, semblant sortir de cette incroyable verte machine décapotable...

J'ai beau me frotter les yeux, mais cette voiture verte est bel et bien une Morgan qui coûte un minimum de 50.000 US$ à Londres. Dans cette misérable et vieille rue, la chose est presque provocante.

Curieusement, quatre jeunes gens sont adossés au mur, face à ce bijou, dont la radio hurle à tue-tête.

Nonchalants et placides, ils boivent leur bière au goulot en agitant la pointe d'un pied au rythme de la musique. En m'approchant d'eux, j'apprends que le quatrième du groupe, ce jeune Stacey HOBSON, au tee-shirt noir et jeans délavé, est l'heureux propriétaire de cette voiture anglaise.

L'hospitalité antillaise me dotera vite d'une fraîche bière venue du café d'en face. Notre architecte et futur Cigéviste me raconte bien vite qu'il partage ses bureaux avec le célèbre ROTHSCHILD. Que vient donc faire le Baron à St Kitts ? Fier du succès de son " Mouton ", vin précieux à près de 2.000 FF la bouteille, le Baron de Rothschild distille aujourd'hui son propre rhum à St Kitts. En fin de conversation, je me vois offrir cette belle et plate blanche bouteille aux armoiries des Rothschild : CSR.

La Fédération de St Kitts and Nevis, indépendante depuis le 19 septembre 1983 (tout en restant dans le cadre du Commonwealth), compte une population totalement anglophone de près de 5O OOO personnes sur une superficie de 276 km2. L'unique production agricole est le sucre.

EXXON la compagnie américaine est vite suivie par d'autres compagnies bénéficiant de la proximité des USA et d'une faible imposition pour implanter quelques petites entreprises économiques. Le tourisme avec près de 85 000 visiteurs (dont un tiers en croisière) rapporte à l'Etat en 1988 trente millions de dollars US soit un tiers du PNB (Produit National Brut). Mais le PNB par tête et par an ne s'élève qu'à 161O dollars (légèrement supérieur à celui de la Tunisie), et classe ce pays 94ème sur 2O4, à la limite des pays bientôt relativement riches.

Ici enfin, l'Eastern Caribbean dollar, monnaie de nombreuses îles dans les Caraïbes, s'échange également au taux de 2,7 pour un US$.

 

PROMENADE EN BUS.

Nous voici confortablement installés sur la banquette avant d'un minibus Toyota, avec notre sympathique chauffeur. Tout au long de notre promenade insulaire, par un code muet, les passagers voient leur bus s'arrêter devant leur propre maison en bord de route. Glissant furtivement un billet d'un dollar E.C. dans la main du chauffeur, ils nous quittent en silence sans adieu aucun.

Tout au long de notre ballade, en bord de mer, la végétation que nous croisons est belle et diverse. Cocotiers, palmiers,  résiniers  au fruit semblable aux grappes de raisin et à la large feuille vernissée servant souvent d'assiette lors de pique-niques champêtres, bordent notre route. Le mancenillier au suc toxique et corrosif est un arbre à éviter, tout comme ses fruits semblables aux pommes vertes; il faudra alors chercher "l'olivier pays" pour avoir le contrepoison.

 

Au bout d'une heure de route notre chauffeur nous propose une exploration à pied au centre de l'île, à la découverte des différentes plantes nourricières antillaises telles que l'igname aux tiges grimpantes et à la racine consommable , râpée ou séchée, la patate douce à chair ferme et sucrée, le manioc dont les racines procurent une farine comestible, le "choux pays", les gombos et le piment qui rentre dans toute cuisine créole. La noix de muscade et de cajou, le cacaoyer, et le caféier dont la blanche fleur a une odeur de fleur d'oranger. La canne à sucre produit du sucre roux et du rhum industriel tout en étant une plante alimentaire dont la tige sucrée est sucée.

En fin de journée, nous voici cheminant dans une petite ruelle. Cette première maison couverte de tôles ondulées, qui n'est autre qu'une baraque de deux pièces, est un véritable "baffle de sonorisation". Nous nous hasardons à la porte d'entrée où je heurte de plein fouet un superbe lecteur de cassette qui me laissera sourd pendant près d'une heure. Couchés sur une mince natte, deux jeunes hommes en short rouge et blanc et au torse nu, scrutent au plafond les mouches du soir, bercés peut-être par le reggae hurlant et beuglant. Un peu plus loin dans notre ruelle, cette grosse dame noire à la robe qui fut blanche nous gratifie d'un large sourire orné de quelques dents encore présentes. A ses pieds, deux petites filles aux tresses bien longues creusent la terre de leurs mains, à la recherche d'un objet perdu. La seconde habitation tout aussi gaie et joviale présente trois vieilles chaises d'osier accueillant confortablement les maîtres de céans. Le soleil se couchera bientôt et tout le monde profite de cette brise de fin d'après-midi...

Au fond de cette ruelle en bord de mer une entrée non tapageuse nous plonge dans ce petit hôtel hors du temps, dont l'emblème est un citron jaune.

Imaginez un salon cossu avec des meubles du 16e et 18e siècle. Imaginez une vaste salle à manger avec des bibelots et des couverts raflés chez les plus beaux antiquaires de New York. Imaginez des lustres dignes d'un grand musée, imaginez un confort et un luxe d'un cinq étoiles international et vous serez dans ce tout petit hôtel du bout du monde. C'est un richissime Américain qui a transformé sa résidence secondaire en petit hôtel pour "amis choisis" qui, le soir venu, se prélassent dans leur hamac suspendu aux arbres d'un luxuriant jardin, autour d'une piscine digne des villas de Beverley Hills à Los Angeles en Californie.

 

 

                                                                                                         ¸

 

                                                        Rached TRIMECHE

(19 août 1989)

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