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BERMUDA

               Le nouvel Hong Kong

 

                                                                                  Par Rached Trimèche

www.cigv.com

 

 

 

 

Hamilton. (Février 1997). Triangle, prospérité, exotisme et appréhension sont mes compagnons de voyage sur ce vol de Delta Air Lines, qui relie Atlanta (aux USA) à Hamilton, capitale des Bermudes. L'ensemble des passagers  a pourtant, l'air confiant et souriant dans un avion bondé, sur la route des mystérieuses îles Bermudes.

 

Une longue journée commence dans une grande et belle limousine noire qui quitte à 5 heures du matin Hypoluxo, dans la banlieue de Palm Beach, pour une heure de trajet vers l'aéroport de Miami. Un premier avion nous emmène vers Atlanta, qui venait de vibrer sous l'emblème du C.I.O. et de Coca Cola. Des jeux inoubliables.

Toute fatigue disparaît d'un coup en découvrant de mon hublot ce paysage inattendu. Notre avion amorce sa descente vers Hamilton. Voilà que des perles vertes et dorées flottent et flottillent sur un lagon qui vire du turquoise à l'émeraude. Les perles de l'archipel des  Bermudes grossissent et les îlets deviennent îlots qui se muent en îles.

Le contraste d'une terre volcanique noire avec cette incroyable barrière de corail multicolore, le Reef, et une végétation très verte, flottant sur une mer très bleue, prononce l'exotisme des Bermudes. Est-ce donc un volcan qui a crée au coeur de l'Atlantique cet archipel du bout du monde, découvert en 1503 par l'espagnol Bermudez, qui donna son nom au pays?

Quelle surprise après la féerie du ciel, d'atterrir dans un luxueux aéroport britannique, où je retrouve un zeste de Montserrat des Caraïbes, un parfum de Wellington de Nouvelle Zélande et un soupçon d'Amérique!

 

Geoffrey, Président du Kiwanis Bermuda est bien là, au bas de la passerelle de notre avion, pour me souhaiter la bienvenue sur son île.

Les policiers et les douaniers nous limitent les formalités d'entrée à leur plus simple expression, tout en saluant chaleureusement Geoffrey. C'est que notre jeune chef douanier à la retraite s'active non seulement à la tête d'un club philanthropique et dirige une paroisse, mais se voit en outre confier à cet aéroport de Hamilton, le "cattering" de British Air Ways et de Detla Air Lines. N'ayant besoin comme Churchill, que de 4 heures de sommeil et de deux petites siestes  de 10 minutes par jour, il exploite ses quelques  20 heures quotidiennes d'une façon complète.

 

Etrange Bermuda

Nous voici embarqués vers l'insolite. De mètre en mètre et de minute en minute, tout devient pour le voyageur,   étonnement, magie et joie.

La non surprise de rouler à gauche dépassée, c'est le fait de trotter à 15 km/h sur une superbe, étroite et serpentine route qui nous surprend le plus. Nous sommes en territoire britannique policé où, la vitesse est limitée sur tout le territoire des Bermudes à 35km/h sur les routes nationales et à 15km/h en ville;  soit en moyenne le 1/3 des vitesses du Vieux Continent. Chaque citoyen abdique sans capituler en suivant scrupuleusement cette limite de vitesse, qui évite la construction de routes plus larges qui seraient d'une double nuisance: diminuer l'espace vert et habitable et augmenter les dangers. Effectivement les 62 000 habitants appliquent à la lettre cette directive et prennent ainsi le temps de vivre, de déambuler et de ramener le nombre d'accidents  à un chiffre proche du zéro. Un exemple à méditer mais difficile à plagier car,  tout cela est une affaire de civisme qui fait par exemple des 7 millions de Suisses 7 millions de protecteurs de leur beau pays. C'est pour cette raison que la location de voitures n'existe pas aux Bermudes contrairement à la quasi- majorité des pays touristiques du monde et ceci, par simple  mesure de sécurité. Roulant à 15Km/h en ville et n'ayant jamais plus de 500 m de ligne droite à faire, le touriste subira en outre un  "up down" nettement supérieur aux collines de San Francisco aux USA ou de Lausanne en Suisse et ne pourra donc assurer et maintenir la sécurité des chauffeurs et des piétons qui cohabitent courtoisement sur de si fins lacets goudronnés. Le touriste peut toutefois conduire aux Bermudes après six mois de résidence tout en passant bien sûr un permis de conduire local. Entre-temps, une " Mopete" ou "Vespa" lui permettra de rouler à travers l'archipel. Toute infraction au code de la route lui coûtera (comme en Finlande) un minimum de 350$ des Bermudes, tout autant de dollars US. Le touriste en " mopete" découvrira avec stupeur et satisfaction l'architecture des routes. Asphaltées de gros grains, larges de 6 m au maximum avec une parfaite ligne jaune au centre, ces routes se terminent sur la gauche ou sur la droite par un trottoir large de 50 cm qui jouxte une autre bande de 50 cm toute de beau gazon vêtue. La carte postale est parfaite. N'oublions pas que le revenu moyen d'un touriste aux Bermudes est au minimum de 50 000 $/an. Avec ce niveau social, le touriste privilégié ne s'aventure guère à perturber l'organisation de l'archipel et empruntera comme tout le monde ces parfaits et beaux bus rose et bleu.  La 2ème surprise est tout aussi amusante; Geoffrey m'avait réservé une chambre dans un simple hôtel 3* avec vue sur océan  au modique prix de 124 US$ à peine. L'hôtel n'est pas un hôtel et la chambre n'est qu'une cellule. Oui, une cellule de méditation religieuse dans un semi- couvent de bonnes soeurs. Ni radio, ni fenêtre, ni espace. Tout juste ce qu'il faut pour se décider à aller derechef vers le "Southampton Princess Hotel". La merveille des merveilles. Un superbe 5* où, chaque chambre est une suite, où le Golf s'évase sur quelques hectares et où la plage de l'établissement se paie le luxe d'un rectangle en mer bordé de filets de 50 m sur 20m. Dans ce rectangle, de sulfureuses et sportives nymphes anglaises vous initieront à flirter de loin et de près avec les hôtes de ce territoire marin. Gris et intelligents, ces dauphins voyageurs vous souhaiteront à leur tour la bienvenue au Southampton Princess. J'oubliais le bar de l'hôtel, véritable point de rencontre et point d'orgue où, la musique d'une pianiste noire aux doigts de fée, vous réserve le plus bel accueil avec un apéritif copieux et exotique  dans un salon de velours rouge.

Je comprends maintenant le conseil de mon ami américain Jay qui, rencontré deux semaines plus tôt au bord d'une piscine à Conakry en Guinée, me recommanda cet établissement lui, qui venait d'acheter une mine d'or au pays de Sékou Touré.

Mais, tout cet or et ces dauphins sont très loin de mon budget et je ne peux payer les 550 US$ par nuit que l'on me demande...

Finalement, c'est au "Reefs Bermuda Hotel" que j’atterris. Une charmante jeune réceptionniste native des Açores, se déride rapidement en écoutant (en portugais) l'histoire de mon passage dans son île lointaine et décide de m'accorder 50% de réduction dans ce beau 4* où ma semaine de vacances se muera tour à tour en rêve et en voyage.

75 000 Bermudiens vivent dans un archipel de 360 îles mais se concentrent uniquement sur 20 d'entre elles. Dix de ces vingt îles habitées de l'Archipel sont reliées entre elles par des ponts et des chaussées. Tout ce chapelet d'îlots ne représente que 53,5 km2, soit près de 10% de la surface du lac Léman. 61% des habitants sont noirs, 37% d'entre eux sont des blancs et sont tous en grande majorité anglicans. L'anglais, souvent transformé en " broken english" est la réelle langue officielle de cette colonie britannique au coeur de l'Océan Atlantique à 774 miles (deux heures d'avion) de New York , à 3 445 miles (7 heures d'avion) de Londres et à 911 miles de Nassau aux Bahamas ( près de 100 miles pour 165 Km). Bermuda, Montserrat, Anguilla et les Iles Vierges Anglaises (BVI) sont les dernières colonies de la Grande Bretagne. Mais, Falkland ou les Malouines, tout comme les B.I.O.T. ( British Indian Ocean Territory)  principalement formés de Diego Garcia dans l'Archipel de Chagos, Gibraltar, Hong Kong ( jusqu'au 30 juin 1997), les îles Caïmans, Pitcairn, Saint-Helen et Ascension et Turcs and Caicos sont aussi des territoires anglais. Ces douze entités, sont autant de pays directement rattachés et dépendants de la Mère Patrie Anglaise.

La découverte de cet archipel en 1503 par l'espagnol Juan Bermudez fut suivie par l'arrivée en 1609 de George Somers qui, victime d'une tempête, trouva refuge entre ces roches noires volcaniques. Trois ans plus tard, l'Angleterre pénètre ce pays et lui accorde en 1684 le statut de Colonie.

En 1968, une autonomie interne est donnée à l'archipel qui refusa pourtant son indépendance en 1995 avec une majorité de 74% .

 

Chez le Gouverneur

Toute cette atmosphère de colonie est vécue ce matin d'une façon on ne peut plus cossue, au salon du Gouverneur des Bermudes Sir David Waddington. Nos sièges sont d'un cuir moelleux, rustiques et aristocratiques avec un ton beige qui vire sur le marron. La table centrale de bronze et de verre, porte avec fierté une dizaine de bibelots en argent du XIXe siècle. Une photo familiale trône sur la cheminée et donne à notre entretien encore plus de chaleur. L'interview du Gouverneur devenu Cigéviste est une véritable partie de plaisir où, se dévoilent tour à tour, l'aristocratie anglaise, l'âme du Grand Commis de l'Etat et l'érudition du Gouverneur en exercice: " Sachez que Bermuda est unique en son genre par sa localisation entre deux continents, l'amabilité de ses enfants, la beauté de son paysage et enfin cette sécurisante place financière internationale qui attire les capitaux du monde à une vitesse vertigineuse. L'investisseur, tout comme le touriste de qualité est tout de suite attiré par trois choses: un climat excellent avec un éternel printemps, des services rapides, très modernes et parfaits et enfin la proximité de New York ".

Un silencieux serviteur ganté de blanc et paré d'un papillon rouge suit l'ombre du capitaine et aide de camps du Gouverneur, pour nous servir un apéritif maison dans un service de cristal au chant mélodieux. Le Gouverneur continue sur sa lancée: "L'histoire de notre Archipel est assez exceptionnelle. Nous n'avons connu aucune guerre et la paix nous habite à longueur de siècles. La Reine Elisabeth II est notre Chef d'État et je suis son Représentant (Gouverneur) aux Bermudes depuis octobre 1992. Nous avons un Conseil de Ministres de 13 membres, une Chambre avec 40 élus ainsi qu'un Sénat de 11 membres dont 3 sont nommés par moi-même et 3 autres représentent l'opposition. Nous avons trois partis politiques: l'U.B.P. (les Conservateurs au pouvoir), le P.L.P. (L'opposition) et le N.L.P. qui ne siège pas à l'Assemblée. Pour maintenir une certaine sécurité, le citoyen des Bermudes doit entre 18 et 25 ans passer quatre fois de suite sous les drapeaux avec un total de 10 semaines. Notre vie politique est sereine et la base aéronavale américaine de 6 km2, louée pour 99 ans depuis 1941 est finalement un atout pour l'archipel. Notre drapeau flotte depuis 1915 sur une étoffe rouge avec à droite un drapeau anglais et à gauche un lion tenant l'épave du "See Venture", le bateau des premiers arrivants en 1609. En prévision de la restitution de Hong Kong à la Chine, certaines entreprises internationales quittent déjà cette colonie anglaise pour venir s'installer à Bermuda. Jardine Matheson qui emploie 80 000 personnes dans le monde, a prévu la chose depuis dix ans et s'est installé chez nous en toute sécurité. Finalement c'est dans le domaine des assurances et surtout de la réassurance  (1 300 compagnies) que Bermuda décroche la première place mondiale et concurrence sérieusement la place de Londres. Quant à notre tourisme,  nous avons opté pour   600 000 visiteurs (au revenu supérieur à 50.000 $ par an). Il est vrai que nos hôtels sont très chers mais la sécurité et le " good service" sont notre label N° 1. Sans oublier que notre isolement augmente le prix de nos marchandises de 50% par rapport aux USA". Après le domaine de l'assurance et de la réassurance et avant le tourisme, se sont les compagnies maritimes qui tiennent le haut du pavé économique des Bermudes. Ici, le commerce de pavillons est lucratif tout comme au Panama ou au Liberia ".

L'économie est basée sur le secteur tertiaire qui représente 91% du PNB (Produit National Brut). Le tourisme avec ses quelques 600 000 entrées forme le tiers de ce PNB. La seconde source de revenu est le secteur bancaire, privilégié par ses avantages fiscaux, à l'instar des îles Caïmans ou du Liechtenstein. Jardine Mathesson est suivi par les Magasins Jane Crawford et les grands de la réassurance. Le PNB par tête et par an des Bermudes arrive ainsi à 26 600 US$ (soit 10 fois celui de la Pologne et 13 fois celui de la Tunisie), porte le pays au 7ème rang  Mondial.

Pour clore notre interview, Notre Gouverneur tient à nous faire les honneurs de la maison. Un mirifique jardin exotique cerne cette majestueuse villa coloniale. Accoudés au balcon, nous contemplons cette profonde mer bleue qui berce les Bermudes et ces oiseaux noirs au bec rouge, véritables ambassadeurs de paix et de sérénité. Le bruit du silence est communicatif et le temps a déjà suspendu son vol.

 

Hamilton

Sur la terrasse du Reefs hotel,  nous sommes invités à un " Five a clock tee " bercés par la brise du soir, sous un soleil qui se meurt déjà et s'enfonce pas à pas dans cette mer si bleue, si étrange et si envoûtante. Tommy et Jane, un couple d'avocats américains, reviennent au Reefs pour la 6ème année consécutive. Nous nous retrouvons à la même table et les petites cuisses de poulet braisées sont suivies par de juteuses tranches de gâteau, accompagnant notre succulent thé anglais. L'hôtel ne lésine pas sur les frais et les clients sont heureux avec ces agapes qui précèdent le dîner au champagne. La soirée se termine avec des congressistes chirurgiens suisses, qui découvrent avec extase ce pays  où il fait si bon vivre.

Très tôt le lendemain matin, je pars avec mon fidèle ami Kiwanien, Geoffrey, pour une balade à travers le pays. Pour passer d'île en île et rejoindre Hamilton nous empruntons le plus petit pont-levis du monde qui porte avec fierté et souplesse ses 200 ans. Nous découvrons tour à tour que sur les 62 000 habitants du pays 12 000 sont des étrangers nantis. Et que tout ce monde ne paye aucun impôt, mais une simple taxe de propriété. Le toit des maisons est d'une curiosité certaine. Imaginez, dans un pays ensoleillé, où la pluie est assez rare, des toits uniformément blancs et ourlés de tout un pipeline de gouttières qui se rassemblent dans un grand tuyau central, qui lui même se déverse dans un réservoir de jardin. Pour ramasser le maximum d'eau, les toits sont en forme de V renversé et striés de micro marches blanches, retenant chacune les précieuses gouttes d'eau qui rejoindront alors les gouttières adéquates. La roche du pays est poreuse. Elle emmagasine ainsi l'eau de pluie et deviendra par la suite une véritable pompe à eau.

Quand on aborde le sujet du Triangle des Bermudes, Barbara notre compagne, arbore avec fierté son petit triangle d'or accroché à sa chaîne et nous conte l'histoire suivante. C'est entre les Bahamas, Porto Rico et les Bermudes que se dessine ce Triangle. Durant la 2ème Guerre Mondiale,  plusieurs avions qui passaient par ce Triangle ne rentraient pas à leur base. Depuis toujours, au gré des vents et des années, telle ou telle embarcation disparaît dans ce Triangle. Le problème est la disparition totale et complète des épaves. Comme si elles n'avaient jamais existées. La croyance aux Bermudes est dure comme fer et chaque famille vous parlera de son pêcheur ou voyageur qui aura été aspiré à jamais par ce Triangle des Bermudes. Dernièrement, c'est un superbe bateau de croisière qui s'immobilisa au coeur de ce Triangle avec ses

2 000 passagers bloqués. L'électricité a totalement disparu. La panique aura duré 24 heures, le temps d'évacuer tous les passagers.

Est-ce la route des Cyclones, est-ce l'émanation d'un gaz sous marin, est-ce un tourbillon marin? Le Triangle des Bermudes gardera son mystère, tout comme ailleurs les 76 momies femmes de Machu Picchu au Pérou ou encore l'emplacement de ces gigantesques statues de Rapa Nui, l'île de Pâques au large du Chili, et tant d'autres mystères dont notre bonne vieille Terre est si généreuse.

Le plus frappant à travers nos promenades, à part le fait que ces belles voitures japonaises glissent à 15 km/h à peine, est la beauté de chaque mètre carré  de l'île qui me fait penser à la Suisse de mon enfance et à cette colline qui relie Lausanne à Montreux.

 

En ville

Comment prendre un bus? La réponse est fort simple, si l'on arrive à dénicher dans une riche végétation tropicale un petit piquet de 2m de haut et 3 cm de large, peint en rose et bleu par plages de 20 cm. "No comment". Policés comme en bonne vielle terre d'Angleterre, les clients de bus feront la queue sur le bas côté des minces ruelles et face à ce piquet de bus. Organisation et civilisation. Le billet de bus ne coûte qu'un seul $ et  doit être acheté avant de monter. Le conducteur noir à l'allure très british, a son nom gravé sur une grande plaque blanche au dessus du rétroviseur, précédé de l'appellation " your operator". Les sièges drapés de toile bleue, bordée d'une fine lisière grise, sont d'une propreté inégalable. Notre opérateur contrôlera ses passagers à l'aide d'un étrange appareil.      

A la gauche de son volant se dresse une tablette avec deux bouteilles superposées. Celle du bas est en inox et sans goulot, celle du haut est en verre transparent. Un levier manuel ouvre la trappe entre ces deux bouteilles. Le passager du bus rose et bleu n'aura qu'à glisser son beau ticket de 2 cm2 dans le goulot de la bouteille en verre. L'oeil averti de l'opérateur conducteur vérifie la chose puis il déclenche d'un doigt habile la trappe qui fait passer le billet de la bouteille transparente à la bouteille opaque en  inox.

Au Coeur de Hamilton s'évase une baie langoureuse et bleue. Une vingtaine de Yachts luxueux, rutilants et pimpants se laissent bercer par de légères vagues invisibles face à une condominium (système de location de 99 ans)  portant les couleurs ocres de Marrakech. Ici l'exilé du Vieux Continent ou de la voisine Amérique s'achètera un 3 pièces à  prés 1 million de $. Cette copropriété exige en outre 500 $ mensuels pour les frais de concierge et d'entretien. Il faudra aussi penser aux lourdes charges de gardiennage pour le Yacht blanc qui ne sera utilisé que 3 semaines par an. Tel est le prix de la beauté et de la quiétude. Plus tard, j'aurai l'occasion de découvrir une micro baie privée bordée de sable fin et blanc et ourlée d'une colline verdoyante où, le gazon est rasé de si près qu'il forme une seule plage lisse et vivante. Derrière cette colline, une ruelle bordée d'hibiscus, de papayers, de manguiers et de cocotiers filiformes, débouche sur une entrée de villa, arborant douze lettres magiques: " Blue Horizons ". Qui ne demande rien n'a rien. Il suffit de sonner et de parler en espagnol avec la servante en tablier bleu et bonnet blanc pour se voir , oh miracle, partager le café du matin avec Ross Perrot, le candidat malheureux aux dernières élections présidentielles américaines. Ce richissime homme d'affaires américain, classé dans les 100 premières fortunes du monde, ne peut se passer de sa petite maison de Bermuda  (évaluée à près de 8 millions de dollars) quelques jours par mois. La narration de cet entretien serait le sujet d'un autre reportage.  Robert Stegwood, le célèbre producteur américain est un des top milliardaires du monde à avoir également une résidence aux Bermudes, tout comme l'acteur américain, John Deutsch.

Nous sommes ce soir invités dans une belle  église du siècle passé. Geoffrey, notre guide émérite anime dans sa paroisse une troupe théâtrale d'une quinzaine de sexagénaires. Avec fougue et passion ces dames et messieurs revivent le début du siècle et empruntent à souhait gestes, voix et habits pour que perdurent et revivent les us et les coutumes des Bermudes. "Arry body" remplace "every body", "bye" remplace "boy" et " anower" sera " another". Ces quelques exemples phonétiques multipliés feront du texte une musique incompréhensible. Une pancarte géante, collée à l'entrée rappelle que cette chapelle ne peut contenir que 357 visiteurs. Que nous sommes loin des "boat people" du Vietnam, de Cuba et d'Albanie avec des rafiots surpeuplés ou encore, de la profonde misère du Zaïre et du Rwanda où, des dizaines de loques humaines s'agrippent à un pseudo véhicule pour échapper à la faim, à la soif, à la mort. Le monde est ainsi fait hélas. Nous ne naissons pas tous égaux, mais nous avons cette chance de pouvoir encore tant aider et secourir l'Autre, cet Oublié, ce misérable et infortuné.

Eglise et prison

Traversé par tant de noires idées, je quittais l'église pour m'adonner à mon sport préféré, la marche à pieds. La première colline jouxtant la chapelle nous attire par ses lumières. Notre allée s'évase soudain pour faire place à une centaine de dalles blanches numérotées, 156, 157, 158 et un trou... nous sommes au cimetière du St James Chuck à Sandys. Des centaines de cafards rouges besogneux et rapides, glissent  dans ce trou sous les dalles et réveillent en moi une vieille arachnophobie. Je n'avais que 20 ans, armé et dopé de l'insouciance et inconscience de mes vingt ans, je dormais paisiblement en chien de fusil dans un vieux bus argentin. Soudain, je crois rêver et me voir transporter à Auschwitz ou à Berlin. De partout fusaient ces expressions rocailleuses et cinglantes: " raus, los, achtung" Il est vrai que la 2ème guerre mondiale s'est terminée pour certains avec un refuge sud-américain. Endormi, le chauffeur de notre bus s'est laissé glisser dans un ravin avec ses passagers assoupis. Mon voyage changea ainsi de parcours et me voilà adopté par une famille allemande pour passer une semaine au coeur d'un des plus beaux spectacles de la planète (bien avant qu'il ne soit en partie escamoté il y a 15 ans) sous les chutes d'Iguaçu. Au coeur de trois frontières, Argentine, Brésil et Paraguay, je vécu une aventure hors du commun sous le tropique du capricorne. Comme la machine humaine est bizarre. Vingt ans plus tard, je demandais un jour  à un ami psychiatre installé à Tunis, quel était donc cette ridicule arachnophobie qui me pesait. Il sut rapidement faire revivre en moi cette rapide expérience de la dense forêt d'Iguaçu: Une main ferme s'abat sur mon épaule et m'intime de ne plus bouger. Une allumette craque, une flamme me passe sous le nez et grille sous mes yeux une horrible araignée noire que je ne saurais nommer et qui m'aurait fait passer de vie à trépas en quelques secondes. Mon hôte m'avait sauvé la vie.  Les anecdotes de voyageurs foisonnent à milliers et chaque Cigéviste pourrait faire de ses périples une prose sans fin.

Imaginez une dizaine de villas jumelées blanches et claires qui n'auraient rien à envier à la côte d'Azur, à la Floride ou à la banlieue nord de Tunis. Un petit port jouxte cette cité carcérale. Les prisonniers des Bermudes n'ont peut être pas une vie aussi misérable et ne sont peut être pas tant à plaindre. Tout est relatif dans la vie. Mais d'où viennent ces prisonniers? la réponse est fort simple. L'exigence de l'humain n'ayant pas de limites, sa boulimie croîtra sans cesse. Dans ce pays de beauté et de liberté, la belle jeunesse découvre la drogue. Les "dealers" vont jusqu'au crime pour vendre leur poudre et détraquer cette jeunesse. Tel est peut être le premier problème des Bermudes.

 

Bermuda Museum

Barbara, notre hôtesse, nous fait découvrir le musée maritime des Bermudes. Des répliques d'embarcations du XVIIIe siècle font revivre l'histoire de cet archipel. L'astrolabe, le nocturnal et le chronomètre de Harrison sont autant d'ancêtres de navigation exposés avec art dans ce musée.

Harry Morgan, boucanier et non pirate, n'attaquait jamais les bateaux de son pays et quitta en 1671 les Bermudes pour la Jamaïque. Puis c'est au tour des flottes marines et aériennes de se succéder. En 1937 le premier vol aérien relia Hamilton à New York en 5 heures à peine par les lignes de la P.A.A. (Pan American Airlines). Cette grosse barque qui affronta les tempêtes fut sculptée dans le cèdre de Bermuda (Juniperus bermudiana) qui sert aujourd'hui encore à construire baraques, portes, tables et fenêtres. Une belle enseigne bleue achève notre visite avec cette phrase bien anglaise et en français dans le texte " Dieu est mon Droit". Nous sommes bien en territoire anglais.

Notre journée touristique passe par la Marina de Hamilton, bordée de coquettes villas jaune citron, rouge saumon, rouge brique, vert pistache et blanches immaculées, toutes à volets de bois rouges ou verts. Le paradis des Bermudes est multicolore.

Plus loin, un jardin botanique nous happe sous ses pins de 15m de haut, ses lauriers en feu, ses hibiscus rouges, ses petisporum, ses palmiers nains et ses célèbres " bay grapetrees" aux larges feuilles rousses plus connues sous le dicton " match me if you can leaf". Cette feuille de 10 cm de large sera ainsi aphrodisiaque pour les uns et emplâtre ou thermomètre frontal pour d'autres. Si cette feuille durcit rapidement sur votre front, c'est que votre température dépasse les 38°C. Le palmier noir ou " Sega Palm" date des temps préhistoriques. Le Alefwood est un arbuste taillé, qui se faufile entre un prodocarpus gracilior ou pin africain et un royal Flamboyant (Poinciana regia), une légumineuse de Madagascar qui rappelle étrangement un baobab effeuillé et majestueux.

 

Saint Georges

 

Quel serait le point commun entre le Général tunisien Hannibal et ce bel édifice du XVIIIe siècle portant le même nom? Rien. Sinon qu'une loge maçonnique des Bermudes a choisi le nom de notre général pour son appellation " Hannibal Lodge", qui date de 1779.

Nous sommes au coeur de St Georges, l'ancienne capitale des Bermudes qui garde en elle tout le charme discret et désuet de la vieille Angleterre. Les vieilles maisons centenaires sont intactes et aucune fausse note de modernité ne vient chambarder cet équilibre culturel et artistique.  A se croire à Berlin face à la "Gedechtniskirche" sur le Kufürstendam avec cette église " Unfinished chirch", dont la construction s'arrêta net au siècle passé lors de profonds changements politiques qui firent de Hamilton la nouvelle capitale.

Quelques rastas aux cheveux noirs tissés et emmitouflés dans un large bonnet de laine n'ont de la Jamaïque rien à envier. Sur ce même trottoir, un nouvel étonnement explose à nos yeux. Imaginez un élégant anglais de 40 ans aux fines moustaches rousses et noeud papillon, portant jaquette noire sur un simple short bleu. Le short n'est pas un short mais un short long dit bermuda.

Ce dernier soir au Princess hotel, deux jeunes serveuses de 20 ans, de couleur café au lait, décrochent leur micro tablier et quittent leur bar en courant et en se lançant à tue-tête :" please Mary e-mail me this evening". Internet touche ici toutes les couches sociales, de la serveuse au P.D.G. Nous sommes bien dans un pays, où le S.M.I.C. est de 12$ de l'heure, où il n'y a pas de chômage, pas de taxes et pas d'illettrés. Carl Marx devrait revoir sa copie.

 Les serveuses envolées, c'est au tour d'une noire américaine, aux faux cils, faux ongles, vêtue d'une micro jupe noire qui n'a plus rien à cacher, qui s’installe à ma table en commandant un Bacardi, ou rhum des Antilles, dont le siège mondial quitta Cuba pour s'installer à Bermuda. 20 minutes plus tard, je suis déjà transporté chez elle dans son monde magique. Nirvana, rhétorique et loquacité sont le menu du jour de cette grande chambre noire. Soudain, un projecteur illumine la scène et dévoile 500 spectateurs sagement assis dans cette salle noire. Nous sommes au Congrès Mondial des " Speakers". Parler est un métier.      

S'il faut 20 secondes pour attirer l'attention de l'autre, vous ne pouvez garder cette attention que pendant 20 minutes. Il faudra alors changer de style, de ton ou de thème pour regagner 20 autres minutes d'attention. Janny m'accompagne, me dévoile quelques ficelles de son métier et m'apprend qu'elle organise à Los Angeles des séminaires de quatre semaines par groupe de 100 à 500 personnes au prix modique de 15 000 $ par personne. Je repense à cette dame de San Salvador à El Salvador qui fait le même métier et qui trouve des clients riches et paumés en quête de stabilité et de réconfort. L'être humain est si fragile que tout artifice n'est jamais de trop pour le soulager et le remettre sur pieds.

            Le voyage ne fait que commencer. Ma prochaine étape au Belize est pour demain matin. Adieu Bermuda. Ce n'est qu'un au revoir.

                                                                                                                      Rached Trimèche

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PERIPLE AUX CARAIBES