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PÉRIPLE AU BÉLIZE,

 

Mayas, Mennonites et Cayes

 

                                                                                                                     

 Par Rached TRIMECHE

www.cigv.com

 

 

Belmopan. (Août 1997). Pour les lecteurs aoûtiens de “La Presse” voici l’histoire, le reportage, d’un vieux rêve enfoui qui me poussa à la découverte de la saga des Mennonites. Ils auraient quitté la profonde Russie, emprunté les mers du Nord, parcouru l’Alaska, les USA et le Mexique, pour arriver à l’Honduras Britannique. Je rêvais aussi de retrouver les pyramides mayas de mes vingt ans. C’était la belle époque où je découvrais la pyramide d’El Sol à Teotihuacan, près de Mexico et le Yucatán ou pays Maya avant de rejoindre Terre de Feu en auto-stop. C’était ma première grande virée latino-américaine où je tombais amoureux des Aztèques, Toltèques, Mayas et Incas.

Voilà que du coup, le Belize m’offrait la réalisation de ces deux rêves en même temps: rencontrer les Mennonites et visiter une gigantesque pyramide maya qui vient d’être découverte en pleine jungle.

 

            Il n’est que 18h et le soleil cavale à vive allure vers l’horizon. Les nuits tropicales sont précoces et rapides. Notre petit avion de Floride survole avec aisance cette langoureuse mer des Caraïbes et nous atterrissons brutalement dans un petit aéroport désuet, perdu et désert. Six passagers dont cinq autochtones passent les formalités douanières en quelques minutes. Un taxi éventré et à moitié rouillé me dépose à mon hôtel Radison Fort George où j’avais pris la précaution de réserver une chambre. Ici, les Américains redécouvrent le Belize, ses joies, ses lagons, sa pêche et sa proximité et accaparent rapidement, tout comme les Allemands, la totalité des chambres d’hôtels.

 

            Je repense à mon premier soir, où contre tout avis, j’ai tenu à traverser la ville de bout en bout, à pieds, pour rejoindre l’autre bel hôtel du pays. Les nids-de-poule-sur-trottoir, les caniveaux défoncés, les égouts à ciel ouvert et les immigrés, éternels chômeurs en quête d’un portefeuille visible, furent les principales distractions de cette randonnée nocturne.

Le grand hôtel, aussi insipide que la ville, n’avait à offrir qu’une vingtaine de superbes brunes au faciès inca qui souhaitaient décupler en 20 minutes leurs salaires mensuels. Trois petits tours et puis s’en vont. La sortie est aussi rapide que l’entrée. A 200 mètres de cet hôtel, une langoureuse lumière pourpre dansant dans un lampion m’invite à franchir le rubicon. C’est un insolite petit restaurant indien qui me reçoit. Les petits mets se suivent, se bousculent et ne se ressemblent pas. Le propriétaire a quitté la côte des Malabars de son Inde natale pour venir faire fortune au Belize. Cette fortune est faite en trois ans à peine! Mais sa sécurité n’est plus assurée et toute la communauté est sur le pied de guerre, hésitant entre espérer l’ouverture du Belize au tourisme, ou quitter le pays avec ses économies.

 

LE RESSAC DES ANTILLES

            Ce petit pays tropical bercé par le ressac de la Mer des Caraïbes, jouit à plus de 1 000 mètres d’attitudes de la  fraîcheur montagneuse du pays Maya.

L’eau potable n’est qu’à cinq mètres de profondeur, les fruits sont abondants, la pêche est fructueuse et la vie est langoureuse. Au large, les “cayes” forment un chapelet d’îlets et d’îlots bordés de corail.

La population du Belize se compose de 44% de métisses, 30% de créoles, uniquement de 11% d’indiens mayas et de 7% d’hommes Caraïbes noirs, appelés Garifunes. 58% de cette population sont catholiques et 28% sont protestants.

 

            Avec 22 965 Km2, le Belize est presque aussi vaste que l’Albanie et ne compte que 186 km de long sur 118 de large. 220 000 habitants peuplent ce pays. Bercé par la mer des Antilles le Belize est encadré par le Mexique au nord, le Guatemala au sud-ouest et un peu plus loin au sud, par Honduras. L’espagnol est la deuxième langue parlée du pays après l’anglais. Mais le melting-pot linguistique s’enrichira du chinois à l’arabe en passant par le hindi, l’allemand et le dialecte mennonite sans oublier le créole, le garifune et le maya. Le Belize, cette jeune démocratie, qui n’a jamais connu de coup d’Etat et qui n’a pas d’armée est géré par une simple force de police. L’infrastructure touristique reste embryonnaire et refuse encore tout assaut touristique.

 

            Au début du XVIe siècle, les “Conquistadors” Espagnols faisaient du Belize leur château d’eau antillais. Sa forêt procurait le bois des embarcations, maisons et sculptures. Il n’y a ni or ni fioritures à rafler par les Conquérants Espagnols, d’autant plus que ce pays est naturellement protégé par une barrière de corail qui freine ou fracasse les frêles embarcations étrangères.

Évitant la conquête dévastatrice des Espagnols, ce Belize oublié fera l’affaire des pirates anglais et écossais du XVIIe siècle. En 1670, les Espagnols arrivent à convaincre les pirates anglais à muer leurs activités en juteuses exploitations forestières. La courbe de chômage bascule ainsi en emplois garantis.

            Au XVIIIe siècle, les Anglais s’engagent encore plus au Belize, qu’ils prennent sous leur coupe en chassant tout Espagnol. Plus tard, en 1862, le Belize deviendra une colonie anglaise, dite “British Honduras”. Cette saga britannique se termine un soir d’automne, le 21 septembre 1981, par la déclaration d’indépendance du Belize. Le grand et gourmand voisin, le Guatemala, perd ainsi son espoir de phagocyter le petit Belize, mais ne reconnaîtra ce petit Etat que onze ans après son indépendance, lui évitant d’être et de devenir le Koweït de l’Irak. En 1970, ravagée par un cyclone, Belize City, perd son statut de capitale du Honduras Britannique au profit du Belmopan. Trois ans plus tard, en 1973, le Honduras Britannique est rebaptisé Belize.

 

Des guayaberas en coton

 

Ce matin, à Belize City, nous sommes un groupe de quatre personnes à convaincre le chauffeur de cette belle et vieille Cadillac jaune à nous conduire à la frontière du Guatemala pour la moitié de la somme qu’il nous propose. Son ventre bedonnant, ses moustaches astiquées, ses cheveux lisses et paraffinés et sa chemise blanche immaculée font du quadragénaire, José, un chauffeur mielleux mais sympathique.

            Il n’est que 6h30 du matin et les vélos remplissent déjà toutes ces routes défoncées. Belize City est un peu comme H2 O, sans saveur ni odeur. Si l’on oubliait l’odeur iodée de cette mer des Caraïbes qui fouette avec douceur, les jardins de notre hôtel. Le centre ville est autour du pont Swing Bridge qui enjambe le fleuve à son embouchure et qui croise Albert Street, l’artère principale, qui en fin de parcourt portera le nom de Queen Street. Politesse des rois oblige.

La surprise est à la pointe de la presqu’île, avec les belles villas cossues, en bord de mer, proches du Consulat Américain. Les rouges bougainvilliers, les lauriers multicolores et les écarlates hibiscus, font de chaque jardin, un éden privé, bercé par une fidèle brise marine.

Au bout de deux heures de voiture, nous commençons à avoir les jambes ankylosées et le ventre creux. Une première halte s’impose dans ce village de bout du monde où une seule rue forme toute   l’agglomération. Le restaurant est mexicain et ses tortillas épicées seront les croissants de notre petit déjeuner. Un café chaud et abondant colmate les brèches du voyage. Arrive l’heure de régler la facture et d’éviter un acte de grivèlerie. Le malheureux Franc Français est inconnu au bataillon. Une banque voisine refuse ces mêmes Francs, quand la providence nous fait connaître une jeune Maya aux yeux bleus et aux blondes tresses africaines. La jeune Sandra n’a de Maya que le nom, elle est Suisse et fière de l’être. Elle nous échangera notre monnaie en quelques secondes. Sandra a quitté Zolikon, le quartier chic de Zurich, fuit la jaguar de son père et les caprices de sa mère, pour épouser cette vie indienne où seul l’instant a un sens.

Un crochet s’impose pour visiter la capitale de ce pays. Tout comme l’Australie, l’Afrique du Sud, le Nigeria ou le Brésil par exemple, le Belize a une capitale qui n’est pas la ville la plus importante du pays. Belize City sera ainsi, l’homologue de Sydney au lieu de Canberra;ou encore, Johannesburg au lieu de Pretoria.

Belmopan, la capitale du Belize aussi déserte que la Brasilia des années 60, ne doit sa nouvelle vacation, que suite à un ouragan qui balaya Belize City en 1961. Le nom de Belmopan, dérive de deux mots : “Bel” et “Mopan”. “Bel” est le début de “Belize” et “Mopan” est le nom de la plus ancienne tribu maya du Belize. Les 30 000 habitants de la ville n’arrivent pas encore à retenir les diplomates et les grands commis de l’Etat. Le centre géographique du pays, Belmopan, sera un jour peut-être plus peuplé et plus attractif. La foule du marché est gaie et colorée.

Tout comme aux Philippines, on rencontre au Belize, un grand nombre de messieurs portant une grande chemise blanche qui flotte sur un pantalon. Ces guayaberas en coton, sont souvent minutieusement brodés. Tel personnage vous apostrophe souvent par un “Hey! how yu di do?”, ou un simple “Y’all right?”, tandis qu’un hispanophile ou mestizo vous lancera un “Buenos dias” ou un “Buenas tardes”. Celui qui parlera créole vous dira simplement “Wa di gwan?”, pour vous demander ce qui se passe.

Les Belizais qui n’ont découvert la télévision qu’en 1980, se rendent souvent visite et sont très accueillants. Les jeunes Belizaises libres et libérées, deviennent rapidement des mères célibataires. Maîtresses de maison, elles deviendront rapidement expertes en tortillas, en tamales et en panades (épis de maïs frits avec des haricots et du poisson). L'escabèche (ou soupe à l’oignon) est aussi épicée que la soupe chirmole. Les ganaches sont des tortillas avec du fromage et de la sauce. Tout ce monde garde une belle espérance de vie de 74 ans.

 

XUNANTUNICH

 

            Après plusieurs heures de route, nous arrivons enfin en bout du village de Benque Viejo, à l’ouest de San Ignacio, pour passer la rivière. Notre voiture glisse sur une barge, ou bateau plat, qui lève rapidement l’ancre. Le capitaine au long court, se lance alors dans une vigoureuse gymnastique en tournant une roue qui permet à une vieille chaîne de glisser le bateau de rive en rive. Une piste rouge ferrugineuse de deux kilomètres nous happe dans le bruit du silence. Soudain surgit de la profondeur des cieux, le temple magique de Xunantunich. Cette pyramide maya vient d’être découverte pour la joie des anthropologues du monde. Lesly, jeune architecte américaine, amoureuse de culture maya est ici depuis trois mois et nous conte avec passion la saga des Mayas.

Elle rentre du Lamanai, un site maya enfoui dans la nature et présentant 700 structures dont l’ une culmine à 34 mètres.

Tout ce que je sais des Mayas, c’est tout ce que je na sais pas; le pourquoi de leur extinction qui a hanté ma vie de voyageur en Amérique latine, tout comme les mystère des statues de l’île de Pâques ou des 76 momies de femmes trouvées à Machu Picchu.

            Le peuple de la Méso-Amérique date de 15 000 ans, soit l’époque où la glace (âge glaciaire) offrait un passage dans l’actuel Détroit de Béring, entre la Serbie et l’Alaska.

Ramidus, né en Ethiopie il y a 4,4 millions d’années, a une progéniture qui émigra d’abord vers l’Europe et l’Asie. De cette même Asie, les descendants de Ramidus traversent le Détroit de Béring et arrivent sur le continent américain. Cette longue émigration préservera certains traits mongoloïdes. Arrivent enfin, les civilisations précolombiennes. En l’an 2 000 av. J-C, apparaît la première de ces civilisations qui nous laissa des figurines exposées aujourd’hui au musée de Mexico, c’était l’époque de la révolution du maïs. Suivent alors, les Toltèques, les Chichimèques, les Aztèques, les Zapotèques, les Mayas et les Incas.

 

Les Mayas présentent le monde comme un carré dont les quatre coins sont des bacabs avec une Seiba qui jaillit du centre, par ses 22 niveaux célestes qui régissent ainsi la société maya sous la houlette de Itzamna le Dieu principal.

            Les premiers habitants du Belize furent, ainsi, les Mayas. Leur empire s’étendait alors sur le Yucantan mexicain, le Guatemala et le Honduras Britannique.

L’origine de la civilisation maya reste très floue; Les premières pyramides furent construites en 300 av.J-C, soit 1 000 ans après le début de leur civilisation. Entre les années 250 et 950, les Mayas atteignent l’apogée de leur civilisation. Tout tournait autour de trois centres cérémonieux : Palenque, Tikal et Copan. Mystérieusement, en l’an 900, les Mayas abandonnent brusquement ces centres et émigrent vers le Yucantan. Jusqu’à l’arrivée de Christophe Colomb (en 1495), la civilisation maya vécu ses heures de gloire au Mexique malgré une forte immigration toltèque.

            Architectes remarquables, les Mayas nous laissent découvrir les imposantes ruines de nombreux sites tels que Chichen-Itza, Palenque, Tikal et Copan. Ces centres cérémonieux sont des pyramides surmontées de temples et regroupés autour de places rectangulaires. Les architectes mayas construisaient des murs de pierre sans mortier et agençaient des blocs de pierre en escaliers. Le bois servait pour les linteaux des portes et pour la sculpture. On ne connaissait pas encore la technique de la voûte et on fabriquait un toit  en construisant deux solides murs parallèles sur lesquels on posait des pierres qui avançaient petit à petit vers l’autre mur. Ces murs seront ensuite luxueusement sculptés. Pour ces Mayas, le jade est la pierre précieuse par excellence pour fabriquer colliers, bagues et bracelets. Plus loin et hors du carré sacré, les paysans habitaient de rudimentaires huttes de chaume ou d’adobe.

            L’économie des Mayas reposait sur l’agriculture, ils cultivaient surtout le maïs, le manioc, le coton, le cacao et les arbres fruitiers. Ils étaient experts dans la technique de filage, de teinture et de tissage du coton.

            Ils domestiquaient le chien, élevaient les dindons, pratiquaient l’apiculture, mais ignoraient bien sûr, le cheval. Les Mayas excellaient dans l’art de la céramique et les figurines en terre-cuite de Jaina restent très célèbres. Bien avant Gilbert Trigano, fondateur du Club Med, les Mayas se servaient des fèves de cacao et de clochettes en cuivre, en guise de monnaie. Ce même cuivre accompagnait souvent les somptueuses plumes de Quetzal pour orner les belles indiennes. Curieusement, cette civilisation ignorait la présence d’outils métalliques. Moins éclectiques que les Incas, les Mayas étaient divisés en classes : nobles, militaires, religieux, commerçants, paysans et enfin, des serfs. L’autorité de la société était une filiation patrilinéaire par des chefs héréditaires.

Aujourd’hui, près de 40 000 personnes parlent encore le maya, entre le Yucatán, le Guatemala et le Belize. 23 langues mineures dérivent de cette vieille langue.

            Les Aztèques ne détenaient pas le monopole du calendrier. Les Mayas, en possédaient deux : le premier est solaire et débute le 16 Juillet, jour de la position zénithale du soleil. Les 365 jours de ce calendrier sont divisés en 18 mois de 20 jours, plus 5 jours. Le deuxième calendrier, est un calendrier rituel de 260 jours découpés en 13 périodes de 20 jours. Les Mayas avertis exprimaient systématiquement les dates dans les deux calendriers. J’ai rencontré, l’an dernier, ce même raisonnement au profond Yémen, auprès de la Tribu chibam; chez ces Yéménites, on exprimait systématiquement et doublement l’heure. L’heure universelle et l’heure yéménite dite l’heure zéro basée sur l’heure du coucher du soleil et qui change ainsi quotidiennement.

Jusqu’à l’avènement du calendrier grégorien, au XVIe siècle, le calendrier maya tournait autour des Dieux de la Nature, tout comme chez les Toltèques, les Aztèques et les Incas. Soleil, pluie, vent, mer et lune sont autant de Divinités Suprêmes chez les Mayas. Kukulcan sera par exemple un Dieu créateur très adulé.

Si la roue a été inventée plusieurs fois, l’écriture le fût également. Si on prête à l’Irak la paternité de l’écriture humaine, on prête aux Mayas, comme aux Pharaons d’Egypte, la paternité d’un système d’écriture hiéroglyphique qui leur permit de consigner leur mythologie, leurs rites et leur histoire sous forme d’inscriptions peintes et sculptées sur des pierres, du bois ou sur des feuilles de papier en fibres végétales aplaties et pliées, à l’instar du papyrus égyptien.

Les villes de Madrid en Espagne, de Dresde en Allemagne, de Paris en France, conservent aujourd’hui encore jalousement quatre manuscrits mayas plus connus sous le nom commun de, “Codex Tro- Cortesianus”. Ces livres divinatoires traitent comme une encyclopédie, l’agriculture tout comme l’astronomie ou la médecine.

Comment se fait-il qu’une civilisation aussi brillante se soit brusquement éteinte ? Les hypothèses sont nombreuses. Selon Claude Baudez : “En grandissant, la civilisation maya subit une pression démographique et une forte compétition entre les cités-Etats. Faute d’expansion, cette civilisation augmente son inhérente fragilité”. Le déclin n’a pas empêché le peuple maya d’émigrer au Xe siècle vers le nord du Yucatan. Commerçants et polyglottes, ils deviennent les intermédiaires et alliés des envahisseurs venus du Mexique Central. C’est ainsi qu’est construite la cité d’Uxmal qui attira les Toltèques.

 

LES CAYES

Depuis mon arrivée au Belize, on ne cesse de me proposer une excursion au “Ki”, qui est le nom local de Cayes, fameuse barrière de corail. Cette barrière formée de 150 Cayes, atteint 300 Km de long et devient la plus grande de la planète après celle du Queen’s Land en Australie.

A 6h00 du matin, après un frugal petit déjeuner offert par une serveuse d’hôtel aux trois-quarts endormie, je me précipite en taxi, vers le port de Belize City. Le marchandage est rapide et huit passagers prennent d’assaut, une frêle embarcation à moteur. Les yeux bridés, le sourire large, trapu et musclé, Antonio, notre jeune pilote fonce sur les Cayes (prononcez “Kis”).

Les gouttelettes deviennent vaguelettes et souvent douche froide selon la force du vent qui emporte notre embarcation comme un fétus de paille. 45 minutes de joie et de délire, pour pénétrer soudain, un lagon aussi calme qu’un verre d’eau. Un pont de bois avance en pleine mer pour recevoir les passagers. Je crois revivre mon arrivée à Bora Bora en Polynésie Française et j’ai l’illusion de retrouver mes 20 ans. Ce premier îlot est un véritable paradis terrestre où je retrouve un zeste de Darwin au nord de l’Australie, un air de San Francisco des années 70 et un parfum de Bali l’enchanteresse. En ce mois de février, un millier de jeunes de 20 à 30 ans, prennent possession de cette île pour une semaine ou plusieurs mois. Ils viennent de partout, d’Australie, d’Europe ou des USA. Ils viennent oublier leurs études, leurs soucis, leur train-train quotidien et surtout, la pression et le stress de tous les jours. Des centaines de cases à toit de palmes surélevées sur des pilotis de bois forment autant de “farés” ou de nids d’amour pour cette jeunesse en extase. Un sable fin, blanc et chaud couvre la quasi-totalité de l’île. Un vrai petit déjeuner nous est offert chez Sony, la jeune Suissesse, qui tient ce café-bar perché sur quatre pieux. Fruits et fromages accompagnent un généreux et chaud café qui atténue peu à peu le roulis et le tangage du voyage. A la bonne franquette, notre table est envahie de visiteurs curieux attirés par celui qui vient de loin.

Poursuivons notre escapade aux Cayes, ces îlots flottants parés de corail de toutes sortes dans un lieu hors du temps par une journée qui s’annonce belle et une nouvelle bande d’amis. La nonchalance de cette foule, la douceur des lieux et la beauté de la végétation et de la mer, sont autant d’amarres au voyageur non averti.

La première surprise est cette crique au fond de la seule et unique rue du village. Imaginez une baie cernée par une barrière de corail multicolore et traversée par une dense forêt aquatique, de bambous, palétuviers et filaos. Une véritable mangrove.

Etalés sur leurs serviettes de bain ou sur leurs paréos, des dizaines de baigneurs lézardent au soleil. L’eau est si limpide et cristalline que le plus petit poisson semble venir vous dire bonjour. Une légère bise caresse les rêves et poursuit le voyageur jusqu’au coucher du soleil. Cet état de grâce ou de nirvana semble anesthésier les habitants de cet îlot.

Soudain, un petit groupe de six personnes vêtues comme des cosmonautes, arrivent en titubant. Un zodiaque jaune les prend à bord, pour aller affronter à 150 m de profondeur, le “Blue Hole”. Cette grotte sous-marine est une formation naturelle, particulièrement rare, de l’époque où le niveau de la mer était nettement plus bas. Les stalactites et les stalagmites de cette grotte profonde prononcent la couleur de l’embouchure, qui donne à la mer voisine cette couleur bleu pétrole. Ces concrétions calcaires se sont formées avec les siècles, à la voûte de cette grotte, par l'évaporation des gouttes d’eau qui filtrent. Des centaines de frégates blanches de deux mètres d’envergure, nous survolent sans arrêt, tout comme ces bleus et blancs sula-sula. Tous ces oiseaux laissent un riche guano, qui donne aux Cayes une dense végétation tropicale. Les curieux iguanes d’un rouge terne rayé de noir, peuvent ici atteindre, un mètre de long et cohabitent avec des verts lézards futés et rapides. Les tortues de l’île sont hélas souvent tuées pour passer à la casserole et pour faire de leur carapace des bijoux prisés.

            Mon séjour sera bien trop bref et les obligations de la vie nombreuses ! Il ne reste plus qu’à quitter ces Cayes de rêve et se promettre d’y revenir un jour tout comme pour la visite de Placencia, autre paradis du Belize. Les promesses de voyageurs dans de pareils cas ne sont malheureusement que chimères.

. Ce matin l’aventure sera zoologique. Armés de nos petites caméras et de nos carnets de note, nous quittons notre hôtel aux aurores naissantes. A 50 Km de Belize City, et au nord du Western Highway, le zoo du pays est un must à ne pas rater.

La promenade est longue à travers des dizaines de chemins, de ponts et de rivières. Il est vrai que le pays compte d’innombrables bêtes sauvages singulières.

            A narrer toutes ces bêtes et tous ces fauves, le voyage du Belize devient une expédition en forêt. C’est que la faune est riche et variée.

Le Pélican brun, ou Pelicanus Occidentali, est un plongeur invétéré qui saura piquer du haut d’une falaise sur un poisson qui émerge de la mer. Son grand bec en forme de poche, lui sert de filet de pêche. Cet oiseau monogame, qui préfère les îles côtières des Caraïbes, peut vivre jusqu’à 30 ans et vit aujourd’hui, surtout aux USA et au Pérou.

La Sterne des Antilles, ou Sterna Antillarum est plus ramassée que la sterne des Seychelles qui vient de l’Arctique. Ces petites sternes de 20 cm de long, préfèrent les lagons estuaires où elles dénichent de succulents petits poissons. En été, lors de la nidification, elles gagnent les marécages et migrent vers l’Amérique du sud.

L’Harpie féroce est un aigle aux courtes ailes et aux serres puissantes capables de déchiqueter un singe en quelques minutes. Avec 95 000 ha de réserves et 90% de terres en forêts, le Belize a de quoi nourrir et sauvegarder toute cette faune.

Le Vampire est une énorme chauve-souris qui attend le sommeil de sa proie pour implanter ses incisives pointues et lui sucer le sang.

Le Macao Ecarlate, contrairement au perroquet gris du Gabon, est rouge pourpre, jaune et bleu, avec une queue qui représente les deux tiers de sa longueur d’un mètre. Cet oiseau de compagnie est hélas en voie d’extinction totale. Plus tard, du Mont Cameroun je rapporterai à mon jeune fils Ziéd qui me manque tant dans ce zoo, un perroquet gris du Gabon, qui dit-on, a une longévité de plus de 50 ans.

Le Gobe-mouche Vermillon, grâce aux longs poils disposés autour de son bec, attrape les insectes en plein vol, comme dans un filet.

Le Faucon pèlerin, ou Falco Peregrinus, atteint facilement la vitesse de 100 Km/h lorsqu’il pique sur une proie. Le seul impact de ses serres sur une proie, suffit pour la tuer.

L’après midi s’allonge et nous quittons les oiseaux pour d’autres curieuses bêtes.

Le Lamantin d’Amérique Centrale, ou Trichechus Manatus, proche cousin d’un éléphant aquatique ressemble à une baleine, ce gros mammifère vit dans les eaux côtières des Caraïbes. Si le Lamentin arrive à éviter la pollution des eaux et les hélices des hors-bords, il peut vivre jusqu’à 70 ans.

Le Puma, ou Felis Concolor, redoutable prédateur, vit dans les montagnes mayas du Belize. Appelé souvent couguar, ce puma se nourrit principalement d’oiseaux et de cerfs.

Le Jaguar, ce félin de 2 m vit dans la forêt tropicale humide et chasse la nuit.

Le Tamanoir, ou le grand fourmilier, est un mammifère brésilien qui rendrait plus d’un service à certains jardins. Pour conserver ses 30Kg et son mètre de long, il est capable d’engloutir 35 000 fourmis ou termites par jour, grâce à sa longue langue en forme de trompe qui ira farfouiller  dans les fourmilières et termitières.

L’Opossum de Virginie a l’allure d’un gros rat. Il feint d’être mort à l’approche d’un prédateur.

L’Ocelot, ou Felis Paradalis a la malchance de posséder une superbe fourrure, à la léopard, convoitée par les chasseurs. Prédateur de nuit, il est à la recherche de petits mammifères.

Le Raton Laveur, est appelé Ourson Laveur, parce qu’il plonge ses aliments dans l’eau avant de les manger.

Le Balbuzard Pêcheur est un véritable tornadeau anglais aux longues ailes étroites et aux serres recourbées. Ce rapace peut porter en vol plus que son propre poids.

Le Caïman, au Belize, se pare souvent de lunettes. Cette appellation lui vient d’une excroissance osseuse située entre les deux yeux et qui ressemble à une paire de lunettes. Le caïman est plus agressif que ses cousins crocodiles et alligators. Tout comme les crocodiles, il tue sa proie en la saisissant entre ses puissantes mâchoires et en l’entraînant dans l’eau pour la noyer.

Nous terminons ainsi cette merveilleuse journée zoologique avec le regret évident de ne pouvoir aller en forêt pour admirer tous ces animaux.

 

Une peuplade de Mennonites

            Sur le chemin du retour, à vingt kilomètres de Belize City, nous nous arrêtons brusquement, face à un spectacle extraterrestre.

Lui est blanc comme un cachet d’aspirine, son chapeau est noir comme du charbon, son costume est gris comme le temps et sa façon de tenir les harnais de son cheval est tout aussi vieille que l’âge de ses ancêtres russes ou allemands.

Elle est blafarde et pudique sous son chapeau de paille jaune, elle croise chastement ses mains sur sa taille . Sa robe fleurie rappelle l’Allemagne d’avant-guerre. L’attelage est rustique, voire sordide, une simple charrette tirée par un vieux cheval blanc fatigué. Ils sont Mennonites et refusent l’emploi de la mécanique et de l’électricité. Nous les poursuivons le temps qu’ils s’arrêtent devant leur ferme pour enclencher enfin, un dialogue, en pure langue de Goethe.

 

            C’est une secte que cette peuplade de Mennonites qui tiennent en main la quasi-totalité de la production agricole du Belize, et qui vit en 1997, comme il y a trois siècles, lors de leur arrivée dans ces contrées; Leur nom dérive de Menno Simons (1495-1560), le fondateur de l’église mennonite. Ce prêtre frison est le père d’une secte d’Anabaptistes qui est aujourd’hui encore très présente aux Pays-Bas, au Mexique et aux USA. La dernière conférence mondiale de 1994, qui a son siège à Strasbourg, déclarait compter près d’un million de membres. Les Mennonites, comme les Baptistes ont une église un peu différente de la chrétienne pure. Ils ne baptisent que les adultes convertis et ne comptent que des fidèles militants. Ils seraient partis il y a quelques siècles, du fond de la Russie, empruntant les routes du nord pour rejoindre le nord du Canada, autour de la province du Manitoba. 7 000 Mennonites s’installaient ainsi au Canada, préservant jalousement leurs pures religion et traditions. Certains traversent ensuite les USA et le Mexique et arriveront jusqu’au Honduras Britannique, le Belize de l’époque qui, leur garantissait “to run their own churches and schools, and exemption from any military service”, bref, un privilège de taille.

C’est autour des villages Blue Creek et Shipyard et au nord de San Ignacio que s’installent les paysans Mennonites qui fertiliseront rapidement leur terre. En quelques siècles, les 10 000 Mennonites s’incrustent définitivement au pays dont ils deviennent un des fiers piliers tout en restant une secte chrétienne de descendants allemands.

Ce soir, je suis invité au Rotary Club du Belize, par Abel LOPEZ, parfait jeune homme de 70 ans, Consul Honoraire de l’Allemagne au Belize et néanmoins industriel averti.

La réunion est protocolaire et très américanisée. “Sub-Umbra-Floreo”, la devise du Belize est tout d’abord chantée. L’ordre du jour est mené tambour battant et en anglais. La majorité des rotariens sont Anglais ou Américains et les “affaires” restent dans ce Club un élément essentiel.

Abel décide de m’emmener chez lui pour terminer la soirée. Une superbe maison coloniale des années 60, au toit bas et fripé, aux murs jaune pâle et au jardin exotique, nous accueille à la douce musique des micro-grenouilles et des grillons. Un généreux apéritif est servi avec les savoureux amuse-gueules du pays. Ici, le Belize vit encore à l’heure du Honduras Britannique, l’époque où les flibustiers, véritables aventuriers du XVIIème siècle, écumaient les côtes du pays, tout comme les corsaires et les boucaniers. La soirée se prolonge dans un parfait calme sub-tropical et la discussion tourne autour de l’économie du Belize et son avenir en Amérique Centrale.

 

ECONOMIE DU BELIZE  

            Avec un PNB (Produit National Brut) de 2 630 $US par tête et par an, autant que le Liban, le Belize est classé 108ème sur 226 pays. Ces dernières années, un taux de croissance économique de 5% engage le Belize vers une fragile prospérité. C’est que 50% de la population active vit de l’agriculture. La canne à sucre, avec sa production annuelle de 1,3 million de tonnes, assure 35% des recettes des exportations. Le citron et la banane sont le 2ème poste d’exportation agricole.

Si la lointaine Nouvelle Zélande compte 70 millions de moutons pour 3,5 millions d’habitants, le Belize est fier d’arborer le nombre 1,7 million de porcins pour 220 000 habitants.

La belle barrière de corail freine par contre, la pêche qui se limite à l’exportation du homard à forte valeur marchande.

Les ressources minières se limitent à quelques poignées d’or et de bauxite. L’expérience du textile fût étouffée dans l’oeuf par la concurrence du géant voisin mexicain.

Comment équilibrer cette balance commerciale déficitaire ?

Le tourisme embryonnaire serait peut-être la porte de salut. Le Premier Ministre Conservateur, Manuel Esquivel, élu en 1993, est bien décidé, tout comme Colville Young Gouverneur Général, à contrer l’hégémonie mexicaine et à s’orienter vers le secteur tertiaire pour rééquilibrer l’économie du pays.

 

ILOT FLOTTANT

            Ce matin, je me réveille avec l’obsession d’aller conquérir le célèbre yacht blanc ancré face à notre hôtel. “Jouer au riche quand on n’a pas le sou”, chantait Jacques Brel avec raison, est le refrain qui me poursuit à la découverte de ce navire de plaisance. Imaginez quatre cabines royales ou princières qui attendent quatre couples élus par les Dieux et par les hommes, à 5 000 $US la journée. Pour ces huit passagers, une armada de seize personnes est au qui-vive permanent. Le capitaine est Californien, les quatre serveuses Croates, les trois femmes de chambre Américaines et le reste du bataillon se dispute quatre pays des Caraïbes. Le salon principal orné de cristal, de dorures et de bois nobles de toutes sortes est le point de rassemblement des prestigieux clients. Chaque suite rivalise par la beauté de sa baignoire, les toiles accrochées aux murs, les tapis de soie et la sono langoureuse et divine. Le rêve est bien de ce monde. Le luxe au large de Belize City prend une autre dimension et frise l'hérésie. Soudain, on stoppe mes rêveries et on m’intime l’ordre de quitter le navire. Le premier alias Ivan Rebroff à la tunique dorée arrive et il n’est pas question de déranger les quatre couples russes qui ont loué le yacht pour dix jours.

Adieu petit Belize. J'espère au revoir. Rapidement !

 

 

                                                                                                           Rached TRIMECHE

(24/8/97)

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